D-VICE est un jeu horrible. Je l’avais bien vite compris en arrivant sur la plateforme, à force de regarder les streams d’Helios, je me suis rendu compte d’à quel point le la pomme était pourrie. J’ai commencé à prendre en pitié ceux qui comme le brun sont devenus l’outil d’un projet bien plus grand qu’eux et dont ils n’ont pas idée. Les players ont décidés de participer, choisissent quand s’arrêter parce que c’est trop pour eux ; malheureusement les règles ne font pas d’exception et ceux qui les enfreignent en paient les conséquences.
Helios n’est que l’une des nombreuses victimes que l’application a à sa merci. Il faut être le changement que l’on veut voir dans le monde, alors j’ai décidé d’aider à ma manière, même si je suis loin d’être aussi confiante que la plupart des participants. J’ai reçu une notification pour me prévenir que gimmesugar était prêt à commencer son défi, j’ai sauté sur l’écran de mon téléphone pour observer ce dont il pouvait s’agir, alors que je continuais mon trajet à travers le quartier commercial de Lumopolis. Je l’observe alors qu’il peste, il ne me faut pas longtemps pour reconnaître le quartier où la vie financière politique de la ville réside ; il ne va pas faire cette erreur, si ?

Je me suis mise à courir comme une dératée à travers la ville, tentant de le cueillir avant qu’il ne fasse une bêtise, mais le son de la tondeuse résonne dans mes oreilles. L’écho des passants qui commencent à hurler, le bruit de sa respiration saccadé part la course, j’arrive trop tard pour que le massacre ne soit pas déjà en marche. Mes jambes commencent à me lâcher, les poumons en feu, alors que j’arrive presque là où je l’ai aperçu pour la dernière fois sur la vidéo.
Je suis les cris, alors que je le vois se faire empoigner sur la vidéo, je ne sais pas encore comment il va faire pour s’en sortir, mais je ne serais d’aucune utilité dans une bataille de muscle. Finalement, après un dernier coup de rasoir, il jette l’arme du crime au sol et détale dans une ruelle ; je suis à côté de lui. Même si mon cardio me hurle de renoncer, je me mets à la sortie du chemin qu’il a emprunté et lui fais signe de me suivre. Si j’étais dans sa situation, je ne me ferais pas confiance, mais je connais les rues de cette ville par cœur et je ne doute pas d’avoir la capacité de l’aider. Les sirènes se mettent déjà à rugir dans les rues, il ne leur faudra pas bien longtemps avant de mettre la main sur lui s’il décide à passer son chemin.

— Suis-moi, je connais un endroit qu’ils ne trouveront jamais !

Personne ne sait que cette boutique existe, un vieil antiquaire féru des clients trop curieux l’a ouvert il y a quelques mois de cela ; à l’œil nu on ne croirait pas qu’il existe le moindre espace à l’intérieur. Ceux qui ne sont pas renseignés ne verront qu’un mur en brique tout ce qu’il y a de plus classique, avec quelques tags ci-et-là, mais ces derniers se révèlent être bien plus important qu’on ne le croit. Chez lui, on ne le retrouvera jamais.

Par la grâce, il finit par me suivre alors que j’entrouvre rapidement la porte dérobée. Il ne se fait pas prier pour refermer lourdement derrière lui, bien trop pressé par le moment pour chercher à être délicat. Il met quelques secondes avant de comprendre où on est, où il a atterri pour sauver sa peau. On ne peut pas faire plus atypique comme lieu pour se cacher des forces de l’ordre, l’espace est aménagé comme une boutique banale, mais elle cache des objets qui sauraient tous trouver preneurs. C’est ici que je viens quand je dois trouver un cadeau unique en son genre, bien loin des breloques, il n’y a pas une seule pièce de cette boutique qui n’a pas un attrait particulier.
Après avoir passé en revue le magasin du regard, il prend un ton menaçant, toujours empreint à la peur de se faire attaquer. Il n’a pas l’habitude de ça, de se mettre autant en danger à entendre ses complaintes, incapable de se rendre compte que je suis là pour l’aider. Je m’engage à le ramener dans un chemin moins rempli d’embûches, parce qu’il ne semble pas fait pour ça ; comme Helios, il subit la chose parce que les règles qui sont notées sont idiotes. Je sors le téléphone de ma poche, braquant l’écran de ce dernier dans sa direction, on y voit le retour vidéo du sien. Il n’y a rien à craindre, on est dans la même mouise, même si on n’est pas vraiment sur le même chemin.

— Si je voulais te faire un coup dans le dos, tu ne penses pas que j’aurais juste pu te laisser courir jusqu’à épuisement. Apolonia, enchantée !

Je lui tends ma main libre pour serrer la sienne, le temps n’est pas vraiment aux présentations, mais on devrait rester ici quelques minutes, que ceux qui sont à ses trousses finissent par perdre patience et se lassent de le chercher. Il n’a pas commis un crime majeur, mais c’est à qui il l’a fait qui importe le plus, malheureusement ; plus ils ont d’argent, plus ils sont rancuniers.

— Mords autant que tu veux, je n’ai rien de plus que mon aide à t’offrir en retour.

J’aimerais lui dire que je sais ce qu’ils lui font endurer, que je trouve ça aussi horrible au possible et que je voudrais pouvoir faire plus pour le sortir de là, mais je n’en ai pas la possibilité. Ça pourrait se retourner contre moi, me faire passer pour une balance et subir le même sort que celui qui se trouve en face de moi. Je ne sais pas comment il s’appelle, je ne connais que son pseudo, vu le temps qu’on risque de passer ici, on aurait tout aussi bien à faire que de faire connaissance plutôt que de garder les armes prêtes à se défendre.

— Je te l’ai dit, ici personne ne nous retrouvera, l’idée même de la boutique est pour les petits curieux, elle n’est pas notée dans les registres, il faut la trouver en lisant les signes. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ça paraîtra comme une ruelle des plus classiques pour eux.

La situation ne fait pas de sens, personne n'aurait pu croire que je suis capable de sauver quelqu'un de ses propres troubles, de leurs péchés, pourtant aujourd'hui c'est ce que j'ai fait. L'oiseau en cage que j'essaie de rassurer me montre les crocs instantanément, les range un peu quand je lui montre la raison pour laquelle je suis devant lui, l'interminable lutte des classes ; il doit imaginer que je suis comme les autres, que moi aussi je participe à sa chute. Il n'a pas complètement tort quand on y repense.
Il finit par se présenter, son nom ne m’est pas familier, je ne le regarde pas souvent, le temps beaucoup trop occupé à passer à observer ou parler à un autre beau brun. Les excuses ont du mal à sortir, un peu comme les remerciements, mais je ne lui en veux pas, on va dire que dans ce genre de situation peu sont ceux qui ne seraient pas toujours dubitatifs après tout ça ; et puis il sait que je suis le jeu. Alors oui, je suis du bon côté de la barrière et il serait en droit de se dire que je suis fautive, mais je n’ai ouvert le jeu que par curiosité. Puis il m’a tapé dans l’œil. Je n’ai rien dit parce que j’avais peur de ce que ça pourrait avoir comme conséquences sur papa et maman. Je n’en ai parlé qu’à mon paternel, parce que c’est lui qui est -étonnement- le plus rationnel dans ces cas-là.

Je lui rends sa poignée de main, ravie qu’il décide enfin d’essayer de faire ami-ami. Il semble un peu plus détendu, se laisse complètement tomber au sol, maintenant la porte avec son dos, comme s’il pensait qu’on pourrait encore nous trouver ici. Personne ou presque ne vient ici, le collectionneur d’antiquités soutenait sa boutique seulement avec le peu de personnes qu’il pouvait côtoyer, après avoir parlé avec lui, il s’avère qu’une quinzaine de visiteurs à peine traversent pour visiter. Je m’amuse à parcourir les étalages, regardant ci-et-là les nouvelles acquisitions du vieil homme.

— Ça ne fait pas longtemps, non. La seule chose que j’ai pu voir de toi, c’est sur le jeu et c’est une des rares fois où je tombe sur toi. Je touche du bout des doigts l’une des statues en marbre qui devait probablement avoir des lustres, avant de reporter mon attention et mes yeux sur lui. J’ai été interpellée par le moment, c’est tout.

J’aurais pu lui dire que c’était idiot de le faire ici, mais j’imaginais sans mal que c’était calculé, qu’il voulait faire passer un message, alors je ne dis rien ; tourne sept fois ma langue dans ma bouche. C’était désintéressé de l’aider à s’enfuir, juste l’envie bénigne de sauver mon prochain, déjà piégé dans d’innombrables travers. Mes doigts continuent de parcourir les meubles comblés de pièces de choix. Les colliers sont magnifiques, l’un d’eux irait bien au soleil, un simple lacet en cuir souple, un pendentif en argent et cuivre représentant une flèche de cupidon. Ça lui irait bien, mais je l’imagine mal porter ça, pas à côté de ses chevalières.

— Je ne te connais pas, je ne sais pas pourquoi tu en es là, ou encore pourquoi tu fais ça. J’ai juste voulu faire une bonne action, j’imagine.

Mes jambes finissent par hurler de douleur, me rappelant à la dure réalité, du chemin que j’ai fait, de ma condition physique pas si robuste que ça. Je suis épuisée, alors je finis par m’asseoir non loin de l’une des vitrines, celle où j’ai vu ce collier, je repartirais d’ici avec.

Au final, maintenant qu’on se retrouve plus ou moins à la même hauteur, il ne paraît pas plus méchant que ça ; bien moins dégourdi dans les conversations que dans le fait de raser des têtes apparemment. Il me remercie poliment, semble s’inquiéter doucement pour moi me met en garde sur des choses que je sais déjà. Oui, j’y risque à l’aider alors qu’il est activement recherché pour avoir agressé physiquement des inconnus blindés de thune, mais ça ne vaut pas le coup qu’il y perde plus que de raison, plus qu’il n’a déjà perdu. Je voulais arrêter le massacre avant qu’il n’arrive, désamorcer la bombe avant qu’elle ne lui éclate entre les mains, mais c’est trop tard. La seule chose que je pouvais faire c’était de l’aider, peu importe qui il est, s’il a confronté les règles, c’est parce qu’il croyait en son bon fond que la bonne chose était d’en parler, d’arrêter la machine infernale ; je n’ai pas son courage, parce que j’ai bien trop vu déjà ce que ça implique, les conséquences d’être trop bavard.
Il se recale un peu plus, alors que de mon côté je tente de détendre mes jambes, masse mes mollets endoloris par la course, qui aurait cru que je pourrais traverser tout un quartier de la ville en baskets aussi rapidement. Heureusement que je n’ai pas eu la brillante idée d’être en talons, sans quoi je n’aurai jamais pu rattraper toute cette distance ; même sans courir. Mes jambes me brûlent sévèrement et je ne sais pas encore comment va se faire le retour, mais je ne compte pas marcher pendant au moins quelques jours pour me reposer de tout cet effort.
A me dit de lâcher l’application, de ne pas gaspiller mon temps et ma vie, mais il ne comprendrait pas. Je ne regarde pas par amusement, D-VICE n’est pas un luxe que je peux me permettre, c’est un privilège qui ne peut que me servir à aider ceux dans le besoin ; et puis je ne peux pas l’abandonner. Je relève doucement les yeux vers lui, joue nerveusement avec la bague sous mes doigts en l’écoutant me donner ses conseils. Non, il ne comprendra pas.

— Je ne suis pas dessus par plaisir.

Je soupire doucement en calant ma tête contre l’une des vitrines pour mieux l’observer à travers la pièce. J’éteins délicatement le téléphone devant lui, écran face à son visage avant de le poser sur le sol.

— J’essaye de protéger quelqu’un, de là où je suis.

Je ne lui dis pas qu’il n’est que chanceux. Parce que je me suis prise à l’aider lui et que ça me donne envie d’aider les autres, mais je ne peux pas soutenir tout le monde, pas autant que je l’aimerais. Travailler dans le social, aider ceux qui en ont besoin, c’est le rêve auquel j’aspire, alors rien ni personne ne me fera abandonner.

— Dès qu’il est sauf, je jette l’application à la poubelle.

C’est vrai, le jour où il ne servira plus D-VICE, qu’il ne sera plus à leur merci, alors je ne pourrais le voir que face à face ou en appel visio, je le verrais bien moins souvent, mais ça sera pour le mieux ; le mieux pour lui. Alors oui, les sourires se feront moins rares et l’attente bien plus longue, mais je suis prête à faire ce chemin pour lui. Finalement je me relève doucement porte le collier à mes mains, puis à mon cou, avant d’appuyer sur la notification sur mon HUD pour payer le bijou.

— Il est précieux pour moi, je ne veux pas qu’il y perde dans ce jeu.

Les tensions se calment, il finit par reprendre son souffle, accepte sans broncher les raisons qui me poussent à continuer d’être sur l’application. Il en dit moins que ce qu’il semble en penser, mais je ne dis rien, après tout chacun a son propre jardin secret. Je ne parle pas ouvertement de lui, parce que je ne veux pas qu’il puisse la moindre pression par rapport à ce que je ressens ; parce que même si tout semble fonctionner comme il faut, j’ai peur d’aller trop vite et de tout faire capoter. Il m’explique que de son côté, le plan n’a pas fonctionné, quand bien même il voulait protéger les autres et tout laisser tomber par la suite, mais la chance n’a pas été de son côté.
Un léger soupire quitte mes lèvres en pensant à l’éventualité que les choses ne se passent pas comme prévu pour nous non plus. Finalement, qu’est-ce que ça veut vraiment dire, nous ? Ça ne se passera pas pareil, j’en suis certaine, il s’en sortira, on s’en sortira, peu importe ce que je dois entreprendre pour que ça fonctionne ; nous ne nous laisserons pas avoir par ce jeu. A se relève, vient lui aussi admirer les beautés éparpillées ci-et-là, sur les étagères, sur les meubles et directement au sol. Les statues sont magnifiques, mais je ne sais plus quitter les yeux du petit pendentif qui se trouve maintenant à mon cou. Je ne sais toujours pas si ça lui plaira finalement, mais je ne le saurais jamais si je ne tente pas et jusqu’ici, c’est ce qui me semble le plus approprié.
Il s’arrête doucement, me dis qu’il pense que je réussirais là où il a échoué, fait même preuve de compassion envers mon… Copain ? Je ne sais pas comment on pourrait se définir, je sais que je suis bien avec lui, qu’on semble tous deux avoir beaucoup d’affection pour l’autre, on ne sait pas délier nos mains ; mais on n’est pas ensemble. Nouveau soupir un peu plus long cette fois-ci, relève les yeux vers le martyr, mes doigts ne pouvant s’empêcher de triturer la flèche couleur cuivre qui se balade sur ma poitrine.

— Ce n’est pas mon copain, je ne sais pas comment qualifier ça.

Probablement parce que ça ne saurait avoir besoin d’être qualifié, on est comme on est, tous deux et puis c’est tout. Je ne souhaite pas me perdre en détail, sans doute que ça ne l’intéresse pas et ça complexifierait probablement les choses par la même occasion. Alors je garde pour moi tous les sentiments, garde ma langue dans ma poche pour me concentrer sur le plus important.

— Honnêtement, je ne sais pas si on arrivera à échapper à la cage dorée, mais je l’accompagnerais, peu importe l’issue.

Finalement les babioles ne m’amusent plus vraiment et le souffle se fait court, alors que je réfléchis à lui, à lui envoyer un message. Est-ce qu’il s’inquiéterait s’il savait ce qui est en train de se passer ?

— Ça n’a pas d’importance, aucune, tant que c’est avec lui.

Il n’est pas bien bavard, mais il semble comprendre ce que je lui dis, être fait du même bois qu’Helios, même s’ils n’ont en apparence rien avoir. Beaucoup de choses qui leur trotte dans le crâne, beaucoup d’ennuis et peu de moyens de s’en sortir, pourtant mon partenaire du jour me dit que je peux compter sur lui si on a besoin de lui. C’est bizarre de dire on, alors que depuis plusieurs semaines je ne l’ai pas revu, que seuls les messages accompagnent nos journées. Ils se sont faits plus rares, à tel point que j’ai hésité pendant plusieurs jours à aller le voir au salon, mais ça ne serait pas la bonne chose à faire, de lui mettre la pression quand il a l’air d’avoir besoin de temps.

— J’apprécie ton offre. Un petit sourire se glisse sur mes lèvres. Je ne suis pas certaine de pouvoir faire mieux qu’aujourd’hui, mais si tu as besoin, je ferais ce que je peux.

Ce n’est pas grand-chose et je ne lui dois rien en somme, mais s’il se sent prêt à nous aider, peu importe la raison pour laquelle il le fait, alors je lui donnerais mon soutien également. Comme lui, il a besoin d’aide, celle que je peux apporter est la bienvenue, surtout lorsqu’on connaît la réputation des watchers pour saboter la vie de ce qu’ils considèrent comme leurs pantins. Je n’ai jamais compris pourquoi ils s’amusaient du malheur des autres, quand tout mon argent passe dans le fait d’essayer de sauver des innocents, le leur est usé pour détruire leurs vies.
Je regarde doucement l’heure sur mon ATH, cela fait déjà une bonne vingtaine de minutes qu’on attend là, à regarder les breloques qui sont étalées tout le long, à se cacher d’un crime qui a bien été commis. Je n’ai aucun moyen de vérifier que personne n’est encore à nos trousses, qu’ils sont partis plus loin en pensant qu’il s’est évaporé dans la nature. Rien ne nous permet d’être certains qu’on ne va pas filer direction prison lorsqu’on va sortir de là, alors je tente de lui faire la causette, le temps que les rues se vident, que les forces de l’ordre se lassent et fichent le camp. Que tous les employés de bureau mécontents de la scène à laquelle ils ont pu assister, ou de leurs cheveux rasés ne rongent leurs freins et rentrent chez eux. Espérons seulement que quelqu’un puisse rattraper le carnage capillaire qu’A a pu mettre.

— Ça fait combien de temps que tu es forcé à jouer ?

C’est peut-être une manière un peu sèche de lui demander ça, mais d’un autre côté, je n’ai aucune idée de combien de temps on risque d’être bloqué ici, la boutique n’est pas immense, on a très vite fait le tour, alors autant apprendre plus sur lui. Il n’en dit pas beaucoup, semble garder beaucoup de choses pour lui, je ne peux pas lui en vouloir, la confiance ça ne se gagne pas en une poignée de minutes. Sans compter qu’on n’est toujours pas officiellement sortis d’affaire.

— J’espère qu’ils ne vont pas passer la nuit à nous attendre.

Le compteur tourne, les followers prennent de moins en moins de plaisir à suivre cette conversation, il n’y a plus réellement d’actions et je doute que plus vienne dans le futur. Je tente de garder la conversation en place, le temps qu’on puisse réellement partir d’ici, parce que l’horloge tourne lentement, les sujets de conversation s’épuisent vite quand on ne connaît pas la personne. Je ne sais pas vraiment quoi lui demander, parce que je ne sais pas ce qu’il aura la volonté d’admettre devant la communauté qu’il n’a pas choisie, alors j’y vais de but en blanc, demande directement depuis combien de temps le jeu l’a emprisonné. Cela ne fait pas bien longtemps, en comparaison avec Helios, je sens bien qu’il n’est pas encore vraiment à l’aise avec ce qu’il doit faire ; il semble avoir déjà abandonné la partie, ou peut-être qu’il lui faut juste un véritable électrochoc pour le faire sortir les crocs.
Il me dit pourtant qu’il recommencerait si c’était à refaire, qu’il ne regrette pas, alors que sa voix semble indiquer le contraire. Je ne dis trop rien, ce n’est pas moi qui critiquerais, il y a des choses qu’on se dit plus pour se rassurer que parce qu’on y croit réellement. La bague à mon doigt, le collier autour de mon cou, ça montre que je ne suis pas totalement faite à l’idée des adieux que le brun et moi nous sommes faits il y a quelques jours. J’ai pleuré, seule dans mon lit en voyant la distance s’allonger, à mesure que ses pas le guidaient chez lui et non chez moi.
Je n’ai pas le temps de me lamenter aujourd’hui, je ne suis pas la seule ici, même si je l’oublie parfois bien vite. Pendant que les regrets s’engouffraient de nouveau dans mon esprit, mon partenaire de fortune avait déjà l’esprit en marche pour s’échapper d’ici. Son ton semble indiquer qu’il ne me laisse pas le choix, que son plan est celui qui devra être suivi, mais à le voir, alors qu’il ne daigne pas me regarder, les échos d’adieux semblent de retour. Il se moque bien de savoir comment il va s’en sortir, veut me protéger parce que je n’avais rien à voir initialement dans cette histoire, mais si je le laisse faire, j’aurais fait tout ça pour rien. Il ne le voit pas, mais je fais un grand non de la tête, parce qu’il est hors de question qu’il soit fustigé à cause de ce que le jeu le pousse à faire contre sa liberté.

— J’ai une meilleure idée, qui nous assurera tous les deux de repartir sains et saufs.

Je retire l’écharpe qui était jusqu’ici logée dans mon cou, l’enroule autour des épaules de mon camarade, j’attrape le bonnet qui trônait sur son crâne et le lui glisse dans la main, sans lui demander son reste. Est-ce qu’il m’écouterait réellement si je lui laissais décider, je n’en suis pas vraiment certaine ; on partira d’ici à deux et nos chemins se sépareront quand nous serons en sécurité.

— On sortira d’ici en même temps, qu’importe ce que tu en penses. Ils cherchent un individu seul, avec un bonnet. Personne ne cherchera plus loin si tu ne ressembles pas parfaitement à la description et que tu es accompagné. Je lui fais face, un petit clin d’œil. On se fondera dans la masse, fais-moi confiance.

Je n’ai pas pour habitude de baisser les bras à la moindre épreuve, papa et maman ne m’ont pas élevé de la sorte. Sans compter que je suis la première à sauter sur l’occasion de rattraper les erreurs de mon père, même quand la situation paraît sans issue ; d’après lui, il n’y a pas de problèmes, seulement des solutions. Savoir déguiser la vérité est nécessaire si on veut pouvoir s’en sortir tous les deux sans se faire choper dès qu’on va mettre un pied dehors, alors autant y mettre le paquet. Heureusement pour moi, mon camarade ne s’oppose pas à l’idée, range son bonnet dans une des poches de sa veste. Intérieurement, j’étais terrifiée à l’idée d’avoir fait ça pour rien, parce qu’il était prêt à sauver mes fesses quitte à y risquer les siennes, mais ça n’est pas comme ça que marchent les choses.
Il tente bien de trouver de quoi cacher un peu plus son identité, mais la plupart des bibelots qui composent l’étalage coûte un bras et je ne parle même pas de ceux qui se rapprochent de l’accessoire ou d’un bijou, j’aurais pu prendre quelque chose pour le déguiser si je n’avais pas fait l’acquisition du collier qui appartiendra tôt ou tard à Helios, mais je ne peux pas me résoudre à le laisser ici et imaginer que quelqu’un d’autre puisse mettre les mains dessus. Je vois le cerveau de mon compère s’activer, chercher à vive allure de quoi passer inaperçu à l’extérieur de la boutique, parce que tous les employés de bureau n'attendent que son exécution sur la place publique et sont prêts à y mettre le prix fort pour en arriver là.
Sa veste finit par m’être tendue, parce que ça le rassurerait qu’on soit certains de ne pas me reconnaître, mais j’imagine que la paranoïa est bien plus forte que ma voix, alors je ne dis rien, enfile calmement le vêtement. Il me dit que maintenant qu’il sait qu’il doit récupérer sa veste, il n’y a pas d’autre solution, qu’on devra s’en sortir tous les deux quoiqu’il en coûte.

Après quelques minutes de réflexion, je m’affaire à retourner mon sac à dos, à la recherche potentielle d’un dernier accessoire qui finira de le faire ressembler à quelqu’un d’autre. Rien ne fait l’affaire et puis l’idée finit par monter jusqu’à ma tête, pas certaine que ça soit la plus brillante, mais probablement celle qui réussira le plus simplement du monde. Je sors ma petite sacoche dans laquelle trône mon nécessaire à maquillage, le dépose non loin de lui.

— J'ai peut-être une idée pour qu'on se fonde dans la masse, mais je ne suis pas certaine que ça te plaise.

Je déballe tous mes produits, les étales pour qu'il puisse réellement voir de quoi il en retourne, heureusement pour lui, la plupart servent à avoir un look naturel, donc il ne tiquera peut-être pas autant que si je m'amusais à lui repeindre les lèvres en fuchsia. À vrai dire, la taille de mon partenaire, ses cheveux mi-longs et les traits fins pourraient le confondre sans aucun souci avec une fille de mon âge, or ils s'attendent à chercher un jeune homme ; ils n'y verront que du feu.

— Ça ne sera pas le moment le plus fun de ta vie, mais je sais faire ça simplement et rapidement. Je lui lance un petit clin d'œil, sur le ton de l’humour. Et surtout, un peu de mascara c’est toujours mieux que de séjourner en prison !

Tout est devenu simple dès l'instant où il a commencé à suivre mon plan, qu'il s'est décidé à faire partie de ceux qui s'échappent. Finalement il n'a peut-être pas tout perdu de l'espoir qu'il pouvait avoir pour sauver sa peau. J'ai eu peur pendant quelques instants que ma proposition n'aille trop loin, parce que même de nos jours, rares sont ceux qui se laisserait aller à se faire une autre image avec quelques couches de maquillage. Pourtant il ne s'embarrasse pas d'une quelconque honte, m'explique que ce n'est pas si grave, que ça n'est pas la première fois, qu'il a eu l'habitude fut un temps.
Apparemment ça faisait partie de son travail d'avant, il est assez discret sur ce dont il s'agit, donc je ne pose pas plus de questions, imagine simplement qu'il devait travailler pour comme mannequin ou pour une marque de cosmétiques. Ça n'est pas rare de voir de quelqu'un toucher la popularité sans jamais l'atteindre complètement, retourner à la vie normale ça ne doit pas être si simple quand toutes les plus belles choses sont observables sans être palpables. Si c'est bien cela, je comprends sa gêne sans pour autant la partager, parce que de beaux moments restent à venir, même quand la situation paraît désespérée. C’est pour ça que je crois dur comme fer qu’il nous est encore possible de nous en sortir, que je me sens capable de sauver Helios de ses démons. Tout n’est pas encore perdu. Finalement il approche une chaise, s’installe dessus, me présente sans aucun souci son visage, me laisse entendre verbalement que je peux m’atteler à la tâche.

— Je vais faire de toi une reine de bal en un claquement de doigts.

Je ne me fais pas prier pour commencer mon travail, même si je ne suis pas dans les meilleures conditions, je m’applique à faire de mon mieux. J’applique la lotion avec mes doigts pour préparer son visage à la suite, le fond de teint liquide avec un pinceau, très légèrement pour ne pas trop dénoter. Il est prêt à faire les choses jusqu’au bout, alors je continue de fondre sa peau avec un stylo illuminant, juste histoire de cacher les cernes qui se creusent sous ses yeux.
Puis on en arrive à la phase la plus fun, la poudre, le bronzer et de quoi rosir ses joues. Encore une fois je reste très légère dans mes notes, mais arrive tout de même à redéfinir son visage, le rendre féminin au possible. Je n’ai pas grand-chose de mat dans ma trousse, alors ses paupières finissent légèrement pailletées, un petit trait de liner vient s’accorder avec ses cils recourbés, bien plus voyant qu’à notre arrivée. Il ne me reste plus qu’à lui brosser les sourcils, tracer les lignes de ses lèvres au crayon et un petit peu de gloss pour terminer le tout. Il est parfait ; magnifique.

— Je dois dire que le modèle est très convaincant, mais on est assuré de passer inaperçu dorénavant. Je lui tends un petit miroir de poche pour qu’il puisse apercevoir de quoi il a l’air. Ça te va vraiment bien !

On est maintenant prêts à y aller, s’il estime que c’est bon pour lui, personnellement je ne pense pas qu’on puisse faire mieux pour se camoufler.