tu sais marley, quand je t’ai dis que j’aimais ton nouveau blouson, je mentais
salaud ! il a quoi mon blouson ?!
il a que tu le portes
tu t’es levé du mauvais pied
si je pouvais me lever sur les mains et me décrasser les godasses sur le ciel chaque matin, on m'appellerait dieu
t’es de nouveau dans ta période de philosopheur ?
on dit philosophe, marley, philosophe
jette-moi c’te chiffon à la poubelle ; t’es un abrutis mais si moins de gens le remarque, c’est mieux
pour qui ?
l’humanité
hein ?
on est flic, marley
tu crois qu’un criminel, un suspect, la vieille assise en face là-bas te prendrait au sérieux vêtu de la sorte ?
allez, fissa, jette-le
ce blouson je l’ai payé la peau du cul, enfoiré !
t’as le cul vérolé ?
t’es vraiment une plaie georgie, tu l’sais ça ? cours toujours pour que je rempile comme ton équipier l’mois prochain
mh
dis t’as encore des clopes ?
eh, pas touche ! oh ! c’est mon dernier paquet !
putain georgie, sale rat !
//////////
qu’avez-vous ressenti lorsqu’elle s’est présentée à votre porte ?
de la peur, je crois
elle n’avait qu’un manteau par dessus sa chemisette de soie
on aurait dit un ange
vous a-t-elle dit pourquoi c’est chez vous qu’elle est venue chercher refuge ? en dépit de votre statut d’inspecteur ?
non.
ou peut-être.
elle avait une manière bien à elle de me dire les choses
il pleuvait dehors, elle avait les cheveux mouillés et les joues rouges
une mèche s’était collée à sa tempe droite, un peu comme un serpent.
une couleuvre d’eau.
pourquoi me décrire ce détail ?
j’avais envie de lécher sa peau
de baiser cette mèche
avez-vous eu des rapports intimes avec elle cette nuit-là ?
oui.
je me suis endormie sur ses seins
c’était comme retrouver ma mère
votre mère ?
la mère, c’est l’ultime sécurité, l’ultime félicité, non ?
c’est ce que cette femme vous offrait ?
à ce moment-là, sur ses seins, oui.
je ne fantasme pas sur ma mère, dr. romejko.
je n’ai rien dis
vous l’avez envisagé
c’est mon travail
une cigarette ?
non, merci
aviez-vous des doutes quant à sa culpabilité, avant les conclusions du légiste ?
je savais qu’elle était coupable
pourquoi n’avoir rien dit ?
parce qu’elle m’a laissé l’aimer
et cet homme qu’elle a assassiné, n'avait-il pas également droit d’aimer ?
non
c’était une ordure
il frappait ses putes
des gamines, pour la moitié, pas même seize ans
mais n’est-ce pas le propre de la justice, de votre travail en tant que son représentant, de juger les actes de cet homme ?
en effet
votre affection pour cette prostituée est-elle la seule raison de votre silence vis-à-vis de sa culpabilité ?
peut-être
je ne sais pas.
quand j’ai vu son corps lardé de coups de couteaux, j’ai souris.
je crois qu’elle a fait ce que je m’interdis de faire
vous avez contribué à l’arrestation d’un innocent afin qu’elle échappe à la prison
vous avez truqué les conclusions de votre enquête
innocent ? vous appelez innocent un type qui a abusé son gosse de dix piges ?
il est innocent du crime dont vous et votre collègue l’avez accusé
il était libre des crimes qu’il avait commis, nous avons simplement réajusté la balance
qu’en est-il des conséquences de la mort de ce proxénète ? n’aviez-vous pas songé aux éventuelles représailles des membres de son gang ?
bien sûr
or ils ont deviné votre fraude
oui
et ils ont retrouvé la fille
oui
lorsqu’elle s’est réfugiée dans votre appartement, cette nuit-là
que vous aviez, je cite, ressentis de la peur en la découvrant sur votre palier
était-ce la peur de les voir arriver ?
la peur de la perdre
parce qu’elle vous laissait l’aimer.
vous étiez amoureux d’elle ?
oui
lors de notre précédent entretien, vous m’aviez confié ne pas réussir à faire la paix avec vous-même
pourquoi ? vous estimez-vous fautif ?
oui
en partie
en partie ?
la ville, cette ville, ça a été son coup de grâce
la crasse, l’envie, le pognon
c’est la ville qui a tué cette fille ?
elle est morte le jour où elle est née
expliquez-vous
ai-je besoin ? n’avez-vous pas des yeux ?
regardez, là, par la fenêtre
sur le trottoir, le type qui fait la manche
oui ?
comment imaginez-vous sa mort ? en grandes pompes ?
c’est sur ce trottoir qu’il mourra.
seul.
parce qu’il n’en partira jamais
parce qu’il y est né
alors quand il y aura trop de rats, ou trop de mouches
on remarquera qu’il est mort
les gens ne voient pas mais il sentent.
la puanteur d’un cadavre, elle n’a pas d’égal.
personne n’aime marcher avec la puanteur d’un cadavre dans le nez
ça vous rappelle que vous n’êtes pas imperméable à la saleté.
mort, tout le monde pue.
il sera enterré dans un trou pas plus grand que le carton sur lequel il est assit.
à la place des rats, il aura des vers
pas de nom, pas de pierre tombale
plus de puanteur
plus rien
il n’aura jamais existé
mh
si je suis votre logique, cette fille est née pour mourir assassinée parce qu’elle se prostituait ?
elle est née sur ce trottoir
le même que ce type
tous les trottoirs se ressemblent ici
si vous êtes né sur le trottoir, votre mort ne sera jamais juste
ni belle, ni douce
c’est comme ça
c’est la ville qui veut ça
et votre mort ?
je n’y songe pas
j’aime la vie
votre vie ?
la vie
cette fille
vous avez payé afin qu’elle ait une pierre tombale
mon collègue et moi
est-ce votre revanche sur la ville ?
c’est une façon de voir les choses
//////
il y a très exactement dix-sept cigares dans cette boîte
dix-sept
et ?
il y a six minutes, avant que je n’aille chercher les tasses, il y en avait dix-huit
je les ai compté, je compte toujours mes cigares
je n’en ai pris aucun !
ai-je dis que tu en as pris un ?
non ?
or, ton premier réflexe est de démentir une accusation que je n’ai pas émis
ce qui signifie ?
quoi ?
que tu l’as pris
sors-le de ta poche
j’te dis que j’ai rien pris !
tu veux que j’appelle ta mère ?
vieux con
mh
sucre dans ton café ?
t’es pas obligé de faire genre
de faire genre ?
jouer les oncles cools
tu culpabilises parce que papa est malade et que t’as pas les couilles d'aller le voir à l’hosto
admet-le
c’est pour ça que je suis là, nan ?
tu veux te soulager la conscience, faire copain-copain avec ton neveu
c’est vraiment ce que tu penses ?
sérieux george, j’ai plus quinze ans
pas la peine de prendre tes airs de m’sieur-je-sais-tout
ça fait quoi ? 11 mois ? 11 mois que t’as pas foutu les pieds à l’hosto ?
ah par contre, le bouquet de lys, tous les lundis, il arrive
merci george, belle preuve de compassion, belle preuve d’esprit de famille
un bouquet de fleurs faute de couilles
pas mal, pas mal
papa est foutrement heureux tous les lundis, si tu savais
il saute au plafond
merde, c’est vrai, ses jambes sont pourries
mais t’as compris, hein ?
alex
non, j’t’en prie, pas la peine de chercher tes mots
j’sais que t’en as pas
t’étais au courant ? que les jambes de papa sont fichues
tu le savais ?
ta mère me l’a dit
la gangrène s’est propagée
tu crois que ça fait repousser les jambes, un bouquet de lys ?
tu crois que ça parle, que ça écoute ?
c’est ce que tu comptes mettre sur sa tombe ?
une putain de cargaison de bouquets de lys ?
alex, ça suffit
alex t’emmerde
ouais
il t’emmerde
va te faire foutre toi et ta morale en carton
tes cigares, ton whisky, tes bouquins, ta gueule
va te faire foutre
attend
alex reviens !
va te faire foutre !