Absorbé dans le rythme de ses foulées, Magnus  avance à bonne allure entre les arbustes carbonisés et les quelques rochers n’ayant pas encore succombé aux affres du temps et ses vents violents. Il fait étonnamment froid, pour un mois de janvier. En brisant, dans sa course, les volutes de fumée blanchâtre témoignant de sa respiration ; le blond s’amuse à penser que pendant son enfance, il n’était pas impossible de trouver de la neige en cette période de l’année. Peut-être pas ici, cela dit. Enfin.
Ponctuant les quatre saisons de Vivaldi par le crissement familier de l’eau gelée que l’on écrase sous ses pas ; l’autrichien profite d’un rocher vaguement plat en haut d’une colline pour s’arrêter quelques instants. Il a follement envie d’une cigarette, bien que sachant pertinemment les ravages qu’elle ferait sur ses poumons fortement irrigués grâce à l’effort. Passant une main dans le sac tactique qu’il trimballe, Magnus sort du paquetage de quarante kilogrammes un paquet de clopes et un zippo. Il frissonne, sentant sa courte coupe en brosse moins efficace pour protéger sa tête du froid, alors que les premières arabesques grises s’élèvent du tabac incandescent.

Le ronronnement d’un moteur hybride s’élève, en contrebas. Un sourire tranquille étire les lèvres de l’autrichien. Nouvelle taffe tirée sur sa cigarette. L’épanchement de fumée blanche s’éparpille de concert avec son identité, et c’est Pavel Kalka qui accueille la blonde et ses golgoths de compagnie. Il sourit de plus belle.

« -Toujours bien accompagnée à ce que je vois, Miss Nikitenko. Qu’est-ce qui vous amène à Lumopolis ? » La curiosité pique véritablement les côtes du blond. L’oligarche n’a pas besoin de se déplacer, si elle veut implanter son conglomérat dans le district du Nevada. Et son arrivée coïncide un peu trop avec l’explosion des androïdes de combat et de D-VICE. Il réprime un sourire carnassier, puis tend le paquet de cigarettes, en silence, à la jeune femme. Il s’en allume une deuxième ; puis continue.

« -Passons. Comme vous vous en doutez, je ne vous ai pas appelé simplement pour m’extasier devant votre joli minois. Il y a une demande pour des armes ne provenant pas du marché américain ; et donc intraçables, à Lumopolis. » Il se rassoit, invitant de la main la demoiselle à faire de même. « -Que pourraient bien faire de cette information la présidente directrice générale d’un conglomérat spécialisé dans les armes de guerre et un modeste revendeur d’équipement de combat criblé de contacts au marché noir de cette information ? »

Se redressant subitement, le con artist pointe un des deux gardes du corps du doigt, lançant à ce dernier un air enjoué. De sa main libre, il approche l’auriculaire tendu de sa bouche en guise de micro.

« -Vous, jeune homme ! Pourrez-vous répondre à cette question ? Choisissez bien votre réponse très cher, vous pourriez gagner gros en ayant juste ! Ah ! Quel suspense insoutenable ! », finit le blond en brandissant le « micro » vers le garde du corps. Il profite du silence peu amusé de ce dernier pour le relancer d’un haussement de sourcil impatient d’entendre les élucubrations de l’armoire à glace.

Ah, comme il est bon d’amener un peu d’animation en cette froide matinée de janvier !

Elle est concentrée dans son reportage sur d'anciennes oeuvres d'art, c'est là son élément, le néo-classique. Quelle période formidable, là où les peintres tout comme les sculpteurs n'hésitaient pas à sacrifier la moindre parcelle de leur âme pour donner ce petit coup de pinceau bleuté pour que le spectateur puisse admirer la chaire presque vivante au travers d'un tableau, cette époque où la peinture, la sculpture, l'art avec un grand A voulait dire quelque chose. Il y a longtemps que ce n'est plus le cas, cela fait des années, des décènies que l'art n'est plus que masturbation égocentrée. Vivaldi tonne dans les enceintes de la voiture. Pas n'importe quel morceau : L'Opéra n°8, mouvement n°4 - L'Allegro Non Molto. Elle qui voit ce crescendo comme la montée parfaite. Ces coups d'archers, ces violons si efficaces, il n'y a rien de plus beau à ses oreilles. Si elle devait réellement s'enticher de quelqu'un et ne faire qu'un avec, ce serait sur cette musique, pour sûr.

Si elle devait tuer quelqu'un ; le torturer, cette musique serait tout aussi parfaite, les oscillations dicteraient ses mouvements sans l'ombre d'une difficulté. Son esprit malsain se complait dans l'imagination intarissable que lui procure ce chef d'œuvre. La destination est proche, elle s'allonge sur le siège de son véhicule de luxe, son androïde ayant terminé de masser ses longues jambes. Elle apprécie les dernières secondes de la musique avant que son interlocuteur ne soit visible, au loin.

« Выключи телевизор, сейчас же. »

L'ordre est exécuté, le documentaire s'arrête brusquement, la télé s'éteint comme s'apprête à s'éteindre la lueur d'espoir de moults personnes après ce possible accord.

Parée d'un long manteau ayant sûrement coûté la vie à moults loups blancs, elle se dévoile dans son accoutrement allant de paire avec son teint d'albâtre. Elle porte moults bagues dorées fusionnées en ce qui ressemble à un poing américain pointu et une robe rouge encadrée par ce même manteau, la pureté de ce paysage enneigé entourant un bassin d'un rouge cardinal le thème est donné, le sang s'écoulera par la suite de cet entretien, c'est certain. Elle ne peut s'empêcher de sourire, seule, des gens perdront la vie mais elle gagnera de l'argent, c'est tout ce qui importe, c'est là la finalité qui l'intéresse.


Les portes s'ouvrent de chaque côté, comme l'on ouvrirait l'arrière d'un van, elle se tient là, comme assise sur son trône, dardant Pavel. Elle se lève finalement pour sortir de l'habitacle, aidée par ses malabars. Elle dresse un portrait rapide de l'homme puis son garde-du-corps intercepte la cigarette qu'il donnera lui-même à la place. Elle enlace celle-ci avec ses lèvres pour finalement la coincer entre ses dents immaculées.

« L'argent, Kalka. Les conflits font les bonnes affaires. »

Elle demeure plantée là et bien vite, ses malabars, d'un geste conjoint viennent allumer la cigarette qui trône entre ses lèvres charnues. Elle en soupire une longue trainée opaque par les narines puis dépose son regard sur le blondinet. Elle se veut concise, ses mots iront droit au but.

« Quelles sont vos marges et qui sont ceux qui ont besoin de ces armes ? Ont-ils des chances de gagner ? »

C'est une question singulière mais il n'en est point à douter qu'elle a une potentielle importance dans la cargaison qu'elle pourrait faire acheminer par la suite. L'un des androïdes dresse une main à une vitesse fulgurante lorsqu'il approche ses mains d'un peu trop près, visiblement prêt à déboiter celle-ci de son articulation attitrée. Le titan slave dresse une main, lui indiquant de laisser libre mouvement au pitre, ce sera son quart d'heure d'amusement, à n'en point douter.

« Il faut toujours un vainqueur et un perdant, je ne m'associe pas aux cafards. Cela dit, plus le conflit dure et plus mon argent ici fructifiera. C'est une situation qui me sera bénéfique peu importe ceux qui l'emporteront. »

L'expression habituellement glaciale de la jeune femme se meut en quelque chose de plus malsain, de sincèrement vil. Elle observe l'homme sans jamais détourner le regard, à l'aise. Qu'en est-il des termes finaux ? C'est à lui d'étoffer cette proposition.

La russe est factuelle. Impatiente. Impériale. Elle ne veut parler que de chiffres et ne semble avoir envie de supporter les pitreries du blond que tant qu’elles mènent à du profit. Et, caché derrière son air de cabotin cynique ; Kalka peste. Kalka n’aime pas qu’on évite ses questions, surtout quand on ne se donne même pas la peine d’y faire attention. Parce que quoi qu’en pense la poupée moscovite, elle n’est ici qu’une invitée. Une visiteuse tolérée ; un éclat de noisette perdu au milieu de la barre chocolatée que se partagent les rapaces. Qu’elle joue trop à la reine et elle sera déglutie.

Nikitenko ne veut que compter ; et pendant ce temps Kalka calcule.  Hausse les épaules devant les interrogations de la jeune femme. La Présidente Directrice Générale d’un conglomérat népotiste spécialisé dans la production d’armes et la vente de renseignements ne s’intéresse pas aux ramifications morales de ses activités.

« -En supposant un calibre égal, et que la qualité de vos armes soit perçue comme étant la même que celle de HKSW ; la plus-value d’une arme intraçable et compatible avec les munitions inondant déjà le marché… Je dirais 8% par fusil d’assaut, un peu moins pour les armes lourdes. Et –accordez-moi ce caprice, de grâce !- 15% par arme de poing. Pour les munitions, je reste sur un 25-30% somme toute classique pour des consommables. »

Le « polonais » recule calmement pour se réinstaller sur son caillou froid. Se rallume une cigarette. Reprend, dans un concert de fumée grise, son diatribe.

« -Pour les clients… On s’en fout un peu, non ? », dit-il, un sourire voilé derrière les volutes blanchâtres. « -Bandits de bas étage, amants jaloux, indépendantistes, squatteurs, habitant des bidonvilles voulant lancer une révolution… » Nouvelle bouffée de cigarette. L’air enjoué mais les yeux lancés vers le ciel gris, Kalka semble se perdre un instant dans la mélancolie. « -Tant qu’ils paient leurs flingues, tirent avec et meurent dans les conflits qu’on alimente ; qu’est-ce qu’on s’en fout ? »

L’argent n’a pas d’odeur. Un dicton qui n’est vrai que pour celui qui le dépense. Les vendeurs, surtout de produits conflictuels et/ou souvent impliqués dans des activités illégales, se doivent de flairer les problèmes. Parce qu’on remonte toujours au petit commerçant qui a vendu sa boîte de munitions à tête creuse au fou furieux qui les a vidées dans une salle de classe pour lui demander s’il avait l’air « normal », à l’achat.
Nikitenko fait preuve d’une prudence qui est le minimum syndical quand on a son métier. Cependant ; la belle et sa robe aux tons sanguins n’ont pas à gratter des infos à Kalka.
« -Si je peux vous assurer que personne ne remontera à vous-même dans le cas où vos armes seraient retrouvées ; je ne peux malheureusement pas mettre mes clients et distributeurs en ligne de mire et vous lâcher leurs coordonnées en guise de garantie. »

Le rictus de la russe devrait lui faire froid dans le dos. Pavel Kalka, et Magnus Werner qui se fait passer pour lui, devraient être rebutés, voire terrifiés par l’expression de Nikitenko. Mais ils n’y voient que le sourire d’une marchande de mort. La complaisante suffisance d’une femme née avec une cuillère en or dans la bouche, et qui ne se voit mourir que dans un cercueil de chryséléphantine et de diamants.

« -Mon but n’est pas de réitérer nos affaires du Yémen ; ni de pousser la situation à ressembler aux guerres en Irlande. » Un rictus carnassier rendu. Une nouvelle cigarette tendue. Des yeux excités ; dans l’attente. L’argent n’a pas d’odeur. « -Ce que je veux vous offrir, Melyna, c’est des parts de marché dans une Amérique qui compte bien vous les refuser pendant des décennies. Une fois le marché noir et ses acteurs équipés chez Tarkhoff, même la plus innocente des infirmières voudra avoir un de vos flingues sous son oreiller. »

Les mains qui le tendent, si.

Le monolithe slave est immobile, elle réfléchit, nichée dans ses privilèges et son enfance chaotique. Il est vrai qu'elle n'a que peu d'intérêt pour ceux qui achètent ses armes, elle connait la qualité de celles-ci et surtout l'efficacité qui va avec, c'est le plus important. Elle sait surtout qu'il y aura toujours des clients. La mort n'a jamais de repos et ses récoltes sont toujours abondantes, elle en est l'émissaire, en effet.

Melyna est habituée à se battre pour avoir ce qu'elle désire, même si ses années de succès lui ont permit de demander et d'obtenir sans problèmes, elle n'a jamais réellement oublié ce qu'elle a traversé pendant son adolescence. Il n'est que justice de profiter un peu de son statut, n'est-ce pas ? Elle darde le blondinet de son air un brin méprisant, s'autorisant alors un sourire quand elle entend sa proposition.

« Pour de tels taux, votre loyauté se doit d'être sans défauts. Or nous savons tout deux que la loyauté d'un scélérat n'a d'égal que l'argent que l'on lui procure, n'est-ce pas ? 25 pourcents iront très bien. Selon les ventes, j'augmenterai probablement votre marge. Nous verrons. »

De la réthorique, sa réponse n'aura pas grand impact sur ce qu'elle pense de la transaction. Elle récupère la cigarette par l'intermédiaire de son androïde, comme la première fois, accueillant celle-ci entre ses lèvres plantureuses. Elle est allumée dans l'instant et un nouvel éclat s'allume lui aussi dans ses yeux. Pavel peut bien penser ce qu'il veut, la slave sait d'ores et déjà où aller et que faire si elle doit fuir les problèmes. Si sa famille disparue n'a jamais attiré un quelconque soupçon fondé sur elle, alors ce n'est pas quelques pistolets retrouvés qui seront à l'origine de sa chute, elle le sait. Défaut de vanité, narcisse trop poussée ? Melyna réfléchit à moults choses.

« Lorsque je vois la montée d'un conflit, je ressens la même chose que lorsqu'un homme me baise comme il se doit, Kalka. Et ce que j'aime encore plus que cette sensation, c'est le contrecoup du gode-ceinture dont je me servirais pour pourfendre ce système entier. »

Soudainement vulgaire, ça ne dure qu'un temps. Son air chafouin disparait subitement pour ces landes glaciales qui habitent son visage par nature. Elle observe Pavel, tirant une longue latte sur cette cigarette "gracieusement" offerte. Le monolithe russe, sa société et son réseau
d'informations sont encore jeunes dans ce système mais ça ne semble pas l'empêcher d'avoir quelques oreilles partout, elle en profite et, grâce à ça, jouit de moults informations sur diverses personnes importantes. Il n'est pas question que ça tombe dans l'oreille d'un sourd dans un pays où le blackmail est roi.

« Dans ce monde où la cupidité et l'égo sont deux souverains, je m'immiscerais dans chaque faille possible pour y lâcher mon venin et mes balles. Il n'est pas question de reproduire ces fiascos en effet, il est question de s'enrichir. »

Melyna darde Pavel un moment, sans rien dire, le dévore-t-elle des yeux, dans un caprice hormonal ou réfléchit-t-elle à quelque chose d'autre ? Peut-être un mélange des deux, elle sait bien que c'est un sans-bannière et que le besoin l'un de l'autre est équivalent. Voilà là deux chiens avides d'un sang qui coule bien trop près d'eux et la laisse qui les tient est en passe de céder depuis bien trop longtemps.

She's born to raise hell and she intend to do so.

Les deux conspirateurs continuent à échanger leurs cynismes entre deux passages de négociation. Pavel ne peut s’empêcher de sourire aux remarques pragmatiques de la rouge. En parlant de rouge… C’est un peu trop, ce manteau ; non ? Il n’est personne pour juger, mais là n’est pas la question. Qui se balade comme ça pour aller négocier un trafic d’armes ? Il ne comprendra décidément jamais les lubies des corpos. Pavel rit.

« -Au-delà de votre envie vraisemblablement impérieuse de sodomiser le système qui vous enrichit, je ne peux pas vous promettre de résultats phénoménaux à court terme avec ces marges. Mes clients voudront acheter en gros pour négocier les prix, et ma marge est mon seul outil pour les faire céder. »

Le blond passe une main détendue sur ses cheveux ; les massant comme pour ébouriffer une mèche qui n’existe pas. Il réfléchit à toute allure. L’entreprise qu’ils veulent monter est risquée, plus pour lui que pour elle d’ailleurs. Ce genre d’arrangements a tendance à attirer jalousie, concurrence et les différentes formes de vengeance qui accompagne ces sentiments. Mais la belle aime la guerre. Plus que lui, c’est certain. D’aucuns diraient qu’elle n’apprécie autant les conflits armés que parce qu’elle n’a jamais essuyé de pertes, qu’elle ne connaît pas la sourde peine de se relever au sommet d’un monticule de cendres et de cadavres. La vérité est, selon Magnus, bien différente : Nikitenko prend simplement plaisir à piétiner le Monde. Dominer comme objectif, détruire comme un passe-temps. Avilir et trahir est un moyen autant qu’une fin en soi.

« -Nous parlerons des détails une autre fois : même au milieu de nulle part, je me méfie des capacités de surveillance de nos concurrents. » Kalka darde les deux colosses aux airs slaves qui encadrent la belle. « -D’autant que, j’imagine, vos deux gentils toutous enregistrent tout ce qui est dit ici depuis votre arrivée. Je ne pourrai ni revenir sur mes dires, ni les nier si le besoin s’en fait ressentir. Aussi, j’ai une question personnelle pour vous. » le rictus de Magnus s’élargit. Il est l’heure d’aller pêcher.

« -Vous n’avez pas besoin de passer par moi –ou un quelconque intermédiaire familier avec Lumopolis, d’ailleurs, pour insérer via le marché noir vos armes et vos services de renseignements dans le district du Nevada. » Nouvelle bouffée de cigarette. Nouveau sourire de conspirateur. « -Pourquoi avec vous envie de vous servir de moi comme intermédiaire, quand vos profits seraient augmentés et vos coûts réduits en usant simplement de votre réseau que j’imagine aisément tentaculaire pour cribler Lumopolis de balles russes ? »

Et l’antilope demande au lion pourquoi ne daigne-t-il pas diriger ses crocs vers son cou.

Melyna observe Pavel, de marbre, elle entend bien son argumentaire mais il n'en est pour l'instant pas question, d'abord chaque aspect de la vente se doit d'être pris en compte avant d'en poser les fondations. Il le sait bien et elle aussi. Les lubies de la slave sont énigmatiques et il est toujours difficile de savoir si elle est normale ou si quelque chose ne tourne pas rond dans son cerveau. La vérité est que l'enfance qu'elle a eu n'a jamais eu d'impact positif outre assoiffer cette gamine et lui donner une rage intarissable. Une volonté de fer et un besoin maladif d'écraser les autres pour affirmer sa réussite. C'est là le climat russe, soyez bon et on vous mangera. Soyez meilleurs et vous pourrez manger sans jamais sentir la faim. Ses gestes sont toujours empreint de cette assurance durement acquise et Kalka le sait, peut-être même que c'est pour cela qu'il a souhaité revenir faire des affaires avec elle, outre quelques incidents qu'elle jugera minimes, rien de dramatique n'a jamais vraiment eu lieu. Elle allume une autre cigarette qu'elle glisse à la commissures de ses lèvres, l'allumant sans tarder.

« Assurons-nous que tout soit bien élaboré avant de voir pour les marges finales. Chacun trouvera son compte si la vente et le futur est bien étudié. Quant aux rapaces, il ne tient qu'à vous de rentrer. »

Elle désigne l'intérieur de la berline qui est pour le coup très spacieuse, il aurait tout le loisir de rentrer dedans et d'y ressentir le confort d'un palace, elle est étudiée pour ça, après tout. Le cuir des sièges hurle au luxe et l'espace appelle à la liberté de mouvement. Elle demeure jambes croisées, ses yeux toujours rivés sur le blondinet qu'elle dévorerait des yeux si c'était possible tel un loup surplombant un agneau blessé. Elle rajoute une couche :

« N'auriez-vous pas aimé avoir enregistré toute ces fois où vos accords se sont mal déroulés ? Toutes ces fois où vous avez eu affaire à quelqu'un de fondamentalement véreux que vous auriez pu envoyer au fin fond d'une cellule ? Après tout, nous savons comment les prisonniers terminent, et disons que beaucoup de délateurs en ont connu les aboutissants également. C'est une simple sécurité, vous comprenez ? »

Les mots de la russe tonnent comme le glas, il n'y a nul doute qu'elle profère là une vérité tragique. Elle n'aime pas se faire devancer ni ceux qui osent trahir comme si ça n'était rien d'important. Il n'y a pas une seconde où le blondinet pourra en douter tant cet exemple très précis témoigne d'une poigne de fer. Son sourire est vicieux et elle n'a pas vraiment là l'intention de l'appeurer, s'il l'est cependant, ça ne sera qu'un bonus. La peur a un goût délicieux.

« Je n'ai techniquement pas besoin de vous, en effet. J'ai des relations et d'autres gens qui pourraient insérer ce que je souhaite vendre ça et là. J'ai déjà travaillé avec vous, Kalka. C'est là mon plaisir de vous voir à nouveau, mh ? Mes coûts et revenus augmenteraient avec d'autres, mais qui vous dit qu'ils n'augmentent pas avec vous ? Il y a moults aspects et aboutissants à prendre en compte. »

Elle demeure là, satisfaite de son entretien, il semblerait tout du moins, c'est difficile à dire en regardant son visage. Ses yeux dévisagent encore et toujours le blondinet. Sa main tâtonne sa cuisse où se tient son couteau et elle réfléchit à moults scénarios. Il ne tient qu'à l'homme de joindre le monolithe dans sa voiture ou en rester là. L'ambiance semble étrange depuis la question énoncée et ce n'est pas compliqué de le ressentir. Est-ce fondé ou n'est-ce là qu'une mauvaise intuition ? Il faudra poursuivre la conversation pour le savoir, les deux le savent.

Le blond sourit férocement, alors qu’il pénètre dans la limousine : les remarques de la russe ne cesseront jamais de l’amuser. Pourquoi faire tant d’efforts, lorsqu’on prend tout juste la peine de voiler ses menaces ? Le blond sort son five-seven duquel il retire le chargeur et la balle chargée, les posant sur la moquette de l’engin de luxe.

« -Effectivement, je regrette parfois de ne pas avoir enregistré mes entretiens… », commence Kalka. Il hausse les épaules. « -Les peu qui m’ont trahi ayant fini six pieds sous terre, j’aimerais au moins avoir des preuves de leur malhonnêteté avant de les tuer. Je préfère user d’une réputation violente comme sécurité ; ça éloigne les potentiels roublards plus efficacement que leur assurer avoir enregistré nos échanges. »

Un rire poli remue les épaules du faux polonais, qui adresse à la russe un sourire énigmatique.

« -Dois-je comprendre que ma compagnie vous est à ce point sympathique ? Arrêtez, Miss Nikitenko ! Je vais finir par rougir. », commence Magnus. Le blond est joueur, ça n’est pas un secret.

Mais si Werner n’a d’yeux que pour une certaine assassine britannique ; Kalka, lui, apprécie les femmes dénudées et en nombre. Comme on pourrait l’attendre d’un ancien paramilitaire ayant probablement traîné dans les plus violents des sacs de ces dernières années. Ah, les sacs ! Il se rappelle avec tendresse –non- les hordes de mercenaires lâchés dans les rues de Jérusalem pour piller, ravager et violer tout ce qui pouvait, de près ou de loin, avoir l’air de et/ou parler hébreu. Une époque bénie, assurément. De quoi donner envie à n’importe qui de déserter fissa.

« -Vous n’auriez pas un petit verre à me proposer ? Je viens de finir mon jogging, j’ai la gorge terriblement sèche ! »

La détente, la légèreté. Les calmes matinées de janvier, à Lumopolis. Les trainées carmin que les deux laissent derrière leur passage sur la neige fraîche. Nouvelle cigarette. De nouveau, Kalka en tend une à la blonde. Approchant son zippo de la tige de tabac, il lance un regard interrogateur à la russe, attendant la permission de fumer dans la voiture où la décoration semble valoir à elle seule le PIB du district de Jakarta.
Longues volutes de fumée. Pavel tapote distraitement des doigts sur les sièges en cuir véritable –quel faste !-, alors qu’il regarde tranquillement le paysage défiler derrière les vitres teintées du véhicule. Quelles sont les intentions réelles de la jeune femme ? Le mystère s’épaissit.

« -Si jamais vous voulez un endroit sympa où boire un excellent cocktail à Lumopolis, n’hésitez pas à me contacter ! Je dois avoir essayé sans exagérer soixante-dix pourcents des endroits de la ville. Et les plus réputés sont rarement les meilleurs, malheureusement. »

« Il n'est pas impossible de faire les deux, vous pouvez aussi revisionner la leçon qu'ils méritaient après coup. C'est une win-win situation, Pavel. Quel sera votre premier verre ? »

Melyna n'a que faire des menaces voilées, elle donne l'ordre de ses pensées et c'est aux autres de comprendre leurs places, le faux polonais le sait bien, il a déjà travaillé avec elle et l'a déjà vue mettre à exécution ses menaces. Il sait que la poigne de l'homme de fer tient une place spéciale dans le cœur de la slave. Elle le dévisage un instant, dans l'attente de sa réponse. Elle ne daigne pas tendre la main, son chien de garde s'occupant de passer la cigarette à celle-ci. L'embrassant de sa bouche cramoisie, elle l'allume à l'aide son zippo orné, soufflant une volute de fumée après quoi. Un sourire s'arrache brièvement à ses lèvres lorsqu'il lui fait cette remarque malicieuse et elle s'empresse de l'éffacer, poursuivant alors, en russe :

« Заводи мотор, мы уезжаем. »

Sur ces mots, la berline vrombit et le moteur démarre pour finalement débuter la course vers une destination encore inconnue. Pavel est désormais piégé dans cette prison de carbone. L'est-il vraiment ou fait-elle seulement acte de bonté en souhaitant le ramener où il le souhaite ? C'est encore à déterminer. Melyna sait qu'il est important de garder ses "amis" proches d'elle et ses ennemis encore plus. Le mercenaire n'est pas quelqu'un de confiance et elle le sait, mais il joue son rôle à merveille et sa place est parfaitement là où il doit être à ses yeux. D'un mouvement de tête, elle semble activer la climatisation dans sa voiture. C'est en réalité son androïde qui, au signe de tête, comprend l'ordre qu'elle vient de lui communiquer. Afin qu'ils ne souffrent pas du désagréable d'un aqua de nicotine, ceci sera préférable.

« J'ai l'habitude de me tenir aux clubs que je détiens, c'est amplement suffisant pour l'instant. Ceux qui sont trop réputés sont justement trop réputés, je n'ai guère envie de côtoyer ceux sur qui je marcherais bientôt. Ou bien ceux que je vais fournir, ce serait dommage de s'attacher à l'éphémère. Où est-ce que vous vous arrêtez, Kalka ?»

La musique dans la voiture reprend de plus belle et c'est la suite de l'Opéra des 4 saisons qui poursuit sa course dans une ambiance semblable au mouvement préféré de la slave. Elle s'installe à nouveau confortablement dans son siège et attend les mots du blondinet.

« Prenez vos aises, choisissez donc la prochaine musique. L'opéra touche à sa fin. Profitez-en également pour me parler de vos projets, mh ? »

Elle lui indique la tablette dans le repose coude qui se tient sur son côté gauche. Tirant alors une énième bouffée sur sa cigarette, elle tire son butin en une cascade opaque sur le côté en gardant ses yeux sur l'usurpateur.

Elle délaisse son manteau, dénudant ses épaules pour trahir un tatouage qui couvre très certainement son dos entier. L'homme ne peut apercevoir que quelques arabesques coulant vers la clavicule de celle-ci. Elle attend les réponses de celui-ci.

Entendre la blonde parler de « win-win » arrache à Pavel un rire –diantre !- charmé. Le sadisme de la belle n’a de cesse de le surprendre et l’amuser. A croire qu’elle ne vit que pout se délecter des souffrances infligées aux autres et des grands coups de reins que lui assènent, d’après ses dires, certains de ses amants.

« -Quel goujat serais-je si je ne goûtais pas la vodka d’une oligarque russe ? Puis-je simplement y ajouter un soupçon d’eau pétillante, ou est-elle maintenue à une température aussi froide que votre cœur semble l’être ? », répond un Kalka ravi de prendre ses aises alors qu’il se pavane dans l’antre de la bête.

Bercé par le roulis du véhicule et le magnum opus de Vivaldi ; le polonais sourit de plus belle alors qu’il découvre une Nikitenko étrangement hospitalière. La connaissant, elle considère assurément les quelques menaces voilées comme une assurance suffisante qu’il n’osera jamais lui faire la moindre crasse ; mais l’ancien commando ne peut que s’étonner de voir la jeune femme afficher une telle nonchalance. Ou est-ce simplement de l’arrogance ?
Magnus sirote une gorgée de sa vodka, puis hausse les épaules.

« -Je suis tenté de répondre « où vous le souhaitez » : Quel homme serais-je si je choisissais de mettre fin à une entrevue en si bonne compagnie ? », lâche le cabotin, une lueur amusée nichée au fond des yeux. « -N’importe où sur Vegas Strip fera l’affaire. Avoir ma gueule sortant d’une limousine sur les caméras de surveillance de Lumopolis rendra mes négociations assurément plus faciles. »

La belle ne finit pas sa phrase que l’autrichien dirige son attention sur la tablette  permettant de choisir la musique. On ne peut pas décemment lui faire écouter les quatre saisons et lui proposer de choisir les prochains morceaux sans qu’il ne lance instantanément Erlkönig de Liszt. Kalka n’aimerait sûrement pas écouter des vieillards chanter en allemand sur de la musique antique, mais le blond n’en a cure. Kalka est mort, et il incarne maintenant comme il l’entend le trafiquant d’armes.
L’homme arque un sourcil quand l’autre enlève –enfin !- son manteau. Elle le gardait donc vraiment pour supporter la température, et pas seulement pour compléter son style de diva narcissique. Magnus oublie parfois, avec elle, que même une tarée dans son genre a encore un peu de sens commun. Lâchant dans l’habitacle un panache de fumée, le blond s’enfonce encore un peu plus –comme quoi, c’était encore possible- dans son siège.

« -Pour ce qui est de mes projets… Je suis curieux de voir l’évolution de cette ville, tout simplement. Feu les Etats-Unis ont perdus leurs privilèges et leur puissance sans trop d’effusions de sang, contrairement au reste du Monde. », commence le faux polonais. Une gorgée de vodka en guise de ponctuation, et il reprend. « -Mais si la guerre m’a bien appris une chose, c’est à reconnaître une poudrière quand j’en vois une. » un rictus mutin étire les lèvres de l’escroc, qui pointe un doigt nonchalant –et son verre avec- vers la russe. « -Et votre présence ici me confirme que vous aussi, avez senti l’odeur du sang qui se prépare à couler. » Il tire encore une fois sur sa cigarette, et laisse la fumée se libérer naturellement alors qu’il donne enfin sa conclusion.

« -Je ne saurais rater un tel spectacle. », termine Werner, ses émeraudes, fermement nichées dans le regard de la régente ; peu à peu dissimulées par les volutes grises.

Il détourne son regard vers la fenêtre, pour reprendre d’un ton enjoué. « -C’est ici que je m’arrête ! Merci de m’avoir raccompagné, et au plaisir de vous revoir, Melyna. », se permet l’homme en esquissant un baise-main sur les doigts délicats de la sadique. C’est fou, comme les loups peuvent être cordiaux, lorsqu’ils sentent l’odeur de leurs semblables.

Celle que n’a pas l’argent.