« perfectio est une mégacorporation d’origine française. pro-transhumanisme, ayant pour objectif la « perfection – et la supériorité, yikes – de l’être humain ». et pour ça, tout est bon. initialement avec des domaines plutôt variés, mais se concentrant désormais surtout sur le côté... disons, plus létal de la question. aka upgrades de renforcement et de combat bébééé.
(quoi ? nan, j’prends totalement ça au sérieux, pa’. est-ce que t’as vu mon élo-cu-tion ? j’veux dire, entendu ? total pro material right here– okay ! okay, c’bon, c’bon. jeez. vraiment pas moyen d’avoir un peu de fun par ici.)
ces dernières sont réputées pour être d’une rare qualité et particulièrement efficaces. même les produits les plus communs font l’objet d’une attention toute particulière et sont calibrés soigneusement en fonction de leur destinataire. oui, ça veut dire que même les trucs les plus standards et répandus sur le marché coûtent donc un bras. ou deux. ou un rein, j’vous parie qu’ils sont pas picky. tant que vous avez quelque chose qui les intéresse...
»enregistrement vocal de
« max
» travert jr. ;
date inconnueo o o o o o
« mes amis, j’ai le regret – ou pas, hein – de vous informer en cette belle matinée de janvier qu’
évelyne asphodèle, doyenne de la célèbre famille asphodèle et co-fondatrice de «
perfectio », est décédée à l’âge un peu trop vénérable de 90 ans. elle aurait passé ses derniers jours paisiblement dans l’une de ses nombreuses résidences secondaires, au beau milieu de notre belle campagne – enfin, de ce qu’il en reste –, entourée et bercée par le soutien de ses proches.
ce qui l’a pas empêchée d’absolument renverser la table en partant et de faire un bon vieux fuck à toute la famille.
car, mes amis, c’est ce qui nous intéresse réellement aujourd’hui : les derniers vœux de notre bien aimée matriarche, ou plutôt son testament. qui va hériter du gâteau ? la question est sur toutes les lèvres, et apparemment, d’après cette chère évelyne – un petit roulement de tambour je vous prie – la réponse est... personne ! personne de présent à la lecture du testament, en tout cas.
amis complotistes, réjouissez-vous, car l’héritier de perfectio n’est nul autre que
lior calixte anael asphodèle, disparu depuis maintenant presque neuf ans, après un gala dont on ne retiendra vraiment que la coupe extrêmement flatteuse de son smoking.
connu pour ses talents de négociateur – et soyons honnêtes, pour être une vision graciant nos rétines au milieu de cette mer de visages et de corps, disons, moins gâtés par dame nature –, lior était pourtant très loin d’être un candidat pour la succession – en plus de, eh bien, vous savez, être mort –, et ce malgré l’affection notable d’évelyne à son égard.
mais ça ne semble pas avoir avoir arrêté notre doyenne, car les faits sont là, noirs sur blanc, aussi vrais et frais que mes infos. et vous pouvez être sûrs qu’une horde d’avocats s’arrachent en ce moment-même les cheveux dans l’espoir de trouver une faille. pour l’instant, mes sources indiquent qu’ils se cassent royalement les dents.
et honnêtement ? je ne sais pas pour vous, mais je crois que c’est un des trucs les plus hilarants dont j’ai pu être témoin depuis un petit moment. vraiment, je suis à « ça » de sortir le popcorn et de vous inviter à regarder ce remake de game of thrones version corpo avec moi.
mais je m’égare chers lecteurs,
– et avant que je ne me lance dans une ode sur la bénédiction que sont les vêtements faits sur mesure à notre époque (certes, pas pour la planète. mais nos yeux ? nos yeux les remercient), et, vraiment, je vous invite à jeter un coup d’œil à dernière photo que nous avons de lior et qui illustre cet article –
vous, qu’en pensez-vous ?
est-ce que l’âge d’évelyne l’aurait enfin rattrapé, malgré toutes les tentatives de perfectio ?
ou est-ce que nos amis complotistes avaient raison depuis le début ?
lior serait-il, quelque part, encore en vie ? »
extrait de la rubrique française de
« fun with the corpos
» ;
janvier 2047anael repose lentement la tablette sur la table. pose une main pensive sur ses lèvres. inspire.
« well, that’s not good.
» « no shit– hum j’veux dire pardon patron. mais
si je puis me permettre–» « je n’ai pas cet accent.
» « vous avez carrément cet accent. et c’est terrible. enfin tout ça pour dire : ma conclusion est que vous êtes un peu foutu.
» « merci.
»
« de rien, de rien, je vis pour servir itoussa. merde. ils ont même, genre, utilisé votre nom complet – j’crois que c'est la première fois que je vois votre troisième prénom être utilisé pour un truc concernant votre famille, pensais presque qu’ils avaient oublié son existence – alors que pour la présidente c’est le service minimum, tu parles d’un traitement de faveur. et j’suis prêt à parier que la moitié veut maintenant rien de plus que de vous rouler dans le tapis le plus proche, et que l’autre veut vous mettre le grappin dessus encore plus que sur le dernier rapport d’espionnage de la concurrence. ce qui, woh.
»
« une estimation un peu généreuse, je le crains.
» « ...sérieusement ?
» « sérieusement.
» « yikes. rich people.
» « yikes indeed.
»max s’agite un peu dans le silence. tente un petit pas à droite, puis à gauche.
« du couuup– j’continue de faire comme avant, yeah ?
» « s’il te plaît.
» « oki-doki pas de souci. tout’façon j’ai des marchandises à transporter, des trucs à livrer, des gens à visiter, tout ça, tout ça.
wink.
»une pause.
« max, dis-moi que tu ne viens pas de wink à l’oral.
» « je ne viens pas de wink à l’oral.
»max cligne des yeux, innocent. anael relève élégamment un sourcil.
«
wink. »
un souffle amusé échappe à anael et max s’illumine comme un arbre de noël. il cligne véritablement de son œil droit pour marquer le coup et sort de la pièce à reculons, ponctuant sa sortie de finger-guns pour célébrer sa victoire.
dès que max quitte son champ visuel, l’amusement glisse du visage d’anael comme du produit nettoyant sur une vitre.
« cela... complique certainement les choses.
»il n’était plus vraiment question de « si » mais de « quand », maintenant. et de qui arriverait en premier.
les doigts d’anael frappent le bois. un, deux, trois. un rythme régulier, qui résonne dans tout le bar pour le moment encore fermé.
son propre compte à rebours semble venir de commencer.
son regard se pose sur son portable, abandonné un peu plus loin. ses pensées, sur l’invitation qui l’attend encore sagement.
« hmm
»ses doigts stoppent, s’aplatissent, laissent sa paume épouser aspérités et veinures. anael caresse le bois, distraitement. le gratte du bout des ongles. tout doucement, sans intention de blesser.
sa respiration est régulière ;
son visage vide de toute expression particulière.
peut-être est-ce juste là le cours naturel des choses. anael joue avec un temps limité, désormais. et il n’est pas le seul. loin de là.
(ces derniers temps, la planète elle-même semble retenir sa respiration dans l’attente d’une éventuelle conclusion)
(ou peut-être est-ce déjà fait, et que tout le reste n’est qu’une naïve illusion–)
« quand, telle est en effet la question.
»attendre ?
...ou danser ?o o o o o o
— 23 octobre 2008 ; lior calixte anael asphodèle voit le jour sans aucun souci notoire. deux prénoms sélectionnés avec soin, un troisième, presque comme une arrière-pensée, pour honorer un lointain ancêtre anglais. tout va bien. mais la première dissonance ne tarde pas à montrer le bout de son nez. madame et monsieur asphodèle échangent un regard. aucun d’eux n’est roux. ou même blond.
— lior se révèle un bébé tranquille. peut-être un peu trop tranquille.
— madame et monsieur asphodèle sont d’une branche éloignée de la famille. si éloignée, de fait, que certains pourraient les considérer « hors de la famille ». ces derniers désapprouvent.
— l’ambition de madame et monsieur asphodèle est un fait notoire, et ignoré de peu. le couple veut lui aussi une place au soleil, et ne s’en cache pas.
— lior grandit, et très vite, les premières tentatives de kidnapping. on commence à se passer le petit lior comme le dernier accessoire à la mode. des bras de ses kidnappeurs à celui de ses gardes du corps pour finir par... celui de ses androïdes. parfois un employé particulièrement embarrassé. (ses parents sont très occupés, après tout)
— monsieur asphodèle plisse les lèvres et désapprouve.
— des cours d’autodéfense sont ajoutés à une éducation déjà bien trop exhaustive. (puis d’arts martiaux. de maniement des armes. plus lior grandit, plus la liste elle aussi, s’agrandit. et ce n’est jamais assez. car il est hors de question que qui ce soit ne ruine tous leurs efforts.)
— on exige que lior soit parfait. alors lior est parfait.
— (lior se rend vite compte que quelque chose ne va pas. que même les androïdes semblent hésiter avec lui. alors lior observe, analyse, comprend, ajuste son comportement, travaille son expression devant le miroir, mimique autrui. et retourne en premier vers les androïdes. cela fonctionne. leur de temps réponse est bien meilleur, maintenant que leur programmation ne fait plus face à des réactions absentes de leur database. lior ajoute « être
humain normal » à la liste de choses qu’il doit apprendre et pratiquer.)
— à la surprise générale, évelyne, matriarche de la famille et véritable reine dans le petit royaume de perfectio, s’entiche de lior. personne ne sait réellement pourquoi. ses parents sont aux anges. le reste, beaucoup moins.
— les premières tentatives d’assassinat commencent peu de temps après ça.
— on roule des yeux, désapprouve
grandement, vire une personne, puis deux, puis trop pour être comptés. on remplace les incapables, installe des upgrades perfectio dès que possible, et introduit lior à des gens et méthodes bien plus, hm, discutables. et très certainement en dessous de leur personne. mais on ne reculera devant rien pour sauvegarder l’investissement de toute une vie.
— bientôt, c'est nul autre que lior qui retourne l’arme de ses agresseurs contre eux-mêmes. qui attend, patiemment, au milieu des scènes d’horreur, l’arrivée de la cavalerie. dans un état bien souvent déplorable, mais avec des yeux parfaitement vides et une respiration parfaitement égale. monsieur asphodèle regarde son enfant et enfin, sourit.
— (lior ne ressent rien à l’idée de sa propre mort. ou de celle d’autrui. ni sur le fait d’être toujours en vie, vraiment. mais être celui qui, malgré tout, respire encore ? cela a quelque chose de... satisfaisant ?)
— et c’est à peu près tout, vraiment. si cela avait été un film, il y aurait probablement eu un grand évènement dramatique, plein de tension et de révélations, menant à une prise de conscience profonde sur fond de musique copyrightée.
mais ici, lior lève juste un jour son verre d’eau venue tout droit de l’antarctique, et contemple à travers le liquide parfaitement extravagant et au goût parfaitement ordinaire, les convives du gala avec leurs vêtements et alliances d’un jour, une oreille terriblement distraite accordée au débat de deux d’entre eux : quelle est la véritable marque du raffinement, vraiment, l’art de la cuisine moléculaire, ou des plats plus simples composés d'ingrédients véritables et organiques ? et soudainement, pense «
ha ».
— et lior décide alors de faire l’impensable : il tend la main, attrape toutes les connexions, plans, connaissances et expériences, tout ce qui a été soigneusement sculpté et raffiné depuis sa naissance, chaque petite chose qui le compose et forme la lame affutée qu’il est désormais, et tire.
— lior s’arrache les ailes. et disparait.
— anael réapparaît un an plus tard à lumopolis. sur le papier, rien de réellement suspect. changer de district est, certes, quelque peu... inhabituel, mais le rêve américain est un mythe encore présent dans bien des cœurs. et les tensions entre l’irlande et le royaume-uni semblent être une justification plus que suffisante. (surtout lorsque, un an plus tard, les tensions se transforment en véritable conflit)
— et en vérité ? eh bien, vous savez.
anael a vraiment, beaucoup de contacts.
(et il sait parfaitement jouer)
(c’est ce qu’on lui a appris, après tout.)