Elle avait besoin de savoir. Peut-être que tout venait de là, finalement. De cette ignorance, de ces fantasmes qu’elle s’imaginait en permanence. Peut-être que si elle la rencontrait, elle se rendrait compte qu’elle n’avait pas besoin de s’inquiéter ? Peut-être que si elle lui parlait, elle s’apercevrait qu’elle n’avait rien à craindre ? Peut-être. Encore et toujours des peut-être. Ça la tuait à petit feu. Ces incertitudes, ces craintes, ces doutes. Ce n’était pas elle. Effy, elle planifiait, elle prévoyait, elle anticipait. Afin que rien ne puisse la surprendre, l’atteindre, se mettre en travers de sa route. Alors pourquoi est-ce qu’elle se laissait aller comme ça ? Pourquoi est-ce qu’elle continuait à s’enfoncer toujours un peu plus ? Pourquoi elle n’arrivait pas à le sortir de sa tête ?!

Et merde. Rageusement, elle dégagea sa couette et se redressa dans son lit. Ce n’était même plus la peine d’attendre son réveil, elle était déjà bien assez éveillée. Elle sortit du lit, déterminée, se rendit dans sa salle de bain et s’apprêta. Puisqu’elle était debout plus tôt que prévu, cela lui laissait le temps de passer dans ce stupide café avant de commencer ses cours.

A mesure que ses pas la portaient vers le Rainbow Coffee, le doute s’insinua en elle, perfidement. Elle était cinglée. Elle s’apprêtait réellement à aller l’espionner comme ça ? Elle s’apprêtait réellement à se rabaisser autant ? Et après tout, pourquoi pas ? Il l’avait bien remplacé par une autre poupée aux cheveux roses, alors, elle pouvait bien se permettre d’évaluer la marchandise. Elle ne faisait rien de mal. Elle ne faisait que se rendre dans un café pour prendre un petit déjeuner. Comme des centaines d’autres personnes en même temps qu’elle. Ce n’était rien. C’était innocent. Ce n’était qu’un café. Ce n’était pas la mer à boire.

La porte était poussée. C’était trop tard pour faire demi-tour. Effy promena ses yeux sur l’endroit richement décoré. Une grande inspiration pour se donner du courage et elle prit place sur une petite table, un peu en retrait des autres, afin de mieux profiter du cadre – du moins, en apparence. En réalité, ce qui l’intéressait surtout, c’était de pouvoir embrasser toute la salle des yeux. Et de trouver cette poupée aux cheveux roses. La jeune femme sortit innocemment ses notes, après tout, elle était venue ici pour prendre son petit-déjeuner tout en révisant ses cours. Lorsqu’un serveur s’approcha d’elle, elle commanda un café noir, sans sucre, tout en pestant intérieurement parce que ce n’était pas lui qu’elle était venue voir. Non, celle qui l’intéressait, c’était elle. Avec sa crinière rose, ses grands yeux verts, son air de poupée mutine, tout sourire.

Alors c’était donc par ça qu’il l’avait remplacé ? Ou avait-ce été l’inverse ? Avait-il remplacé sa poupée rose par une autre ? Elle était mignonne, c’est vrai. Elle était souriante, un vrai petit ange. C’était presque difficile de la détester. Et pourtant, à chaque fois qu’Effy posait ses yeux sur elle, elle ne pouvait s’empêcher d’avoir l’estomac retourné. Elle crevait de jalousie. Littéralement. Mais le masque ne laissait rien transparaître. Elle était bien trop douée à ça. Jouer un rôle. Et ce matin, elle jouait son meilleur rôle. Un couple venait d’entrer et de s’asseoir non loin derrière elle. Il était temps d’entrer en scène.

Apolonia allait passer juste à côté de sa table, pour saluer les nouveaux clients. Ce fut à ce moment là qu’Effy fit mine de vouloir saisir sa tasse, distraitement, la tête dans ses notes. Ainsi qu’elle l’avait prévu, elle manqua sa cible et le contenant s’échappa de sa table pour s’écraser aux pieds de la jeune serveuse, dans un fracas de vaisselle brisée et d’éclaboussures.

« Oh bon sang, je suis sincèrement désolée ! »

Effy porta sa main à sa bouche, dans un parfait « o » de surprise. La mine inquiète, elle se leva de sa chaise pour commencer à ramasser les morceaux, tout en se confondant en excuses.

« Pardonnez-moi, je suis vraiment maladroite, je vais vous aider ! Permettez, mademoiselle … ? »