Koike Sayaka, sortie dans les meilleurs de sa promo au National War College. Fille de bonne famille. Père travaillant pour une corporation en tant que chef de recherches et développement, Mère créatrice d'implants cosmétiques. Introvertie dans son enfance et plutôt calme, elle est tout le contraire de son frère Takumi. Malgré ses résultats et son comportement, Takumi est le préféré. Sayaka ne dit rien concernant ses addictions et son envie de toujours plus se chromer. La seule fois où elle a élevé la voix (lorsqu'elle a été accusée d'avoir volé la carte de crédits de ses parents, alors qu'il s'agissait de son frère), son père l'a giflée. En réponse, elle abandonne les cours de piano imposés et s'intéresse de plus en plus aux sports de combat. À dix huit ans, a refusé de s'intégrer dans le moule exigé par ses parents. Elle est jetée de la maison, et part en école militaire. Lors de ses vingt ans, alors que la réconciliation avec ses parents était en bonne voie, a cassé le nez de son frère lorsque celui-ci a eu le bon ton de mettre en pièces tous ses anciens vêtements ou meubles. Nouvelle rupture.
Victime de sexisme, elle ne se laisse pas pourtant marcher sur les pieds et gagne peu à peu le respect de ses camarades, comme de ses supérieurs. Elle monte les échelons, faisant preuve d'un grand sens tactique sur le terrain lors des mobilisations américaines sur le sol africain, mais aussi une capacité à évaluer les besoins nécessaires à la cohésion de son escadron.
Le sang s'écoule sur le sol. Autour, c'est un mélange d'asphalte, de viande de porc cramée, de poussière et de métal chauffé. De la peau arrachée, un lambeau à vif, rouge, couvert de poussière et de graviers. La chair pulse, les pics ne font que s'enfoncer quand un membre bouge. Une pointe de lame s'enfonce, seul moyen de retirer l'éclat qui menace d'empirer la situation. Impossible de sentir où la douleur se situe, car tout brûle. Un oeil en sang, l'ouvrir est pénible. C'est comme si une fente avait mis à vif la peau de la paupière. Ramper ou même ne serait-ce que bouger est pénible, chaque respiration, chaque son, tout devient désagréable. Même un gémissement, un râle. Les doigts raclent sur la terre, les herbes séchées, un tremblement puis un frisson, long, glisse du bras au corps.
Il y a le lieutenant Jacoby qui se tient la jambe, touché en pleine cuisse. L'ingénieure Phyllis qui est ventre à terre. Davis tire dans le vide, Mallone a une lame coincée dans son épaule. Harrigton a la jambe droite de déchiquetée. De la toux, du sang mêlé à la salive dans un roulement laborieux de la langue.
On dit que la guerre, ça change un homme. Que ça le renforce, l'élève au rang de héros de la nation. Pourtant, ils sont plus de 400 000 à traîner dans les rues. Sans abris, alcooliques, sans suivi psychologique les amenant dans les rangs de la dépression ou de la folie. Pas de travail, pas de logement parce qu'ils sont sales, ils font peur. Ils font peur car ils savent manier ce que l'Homme a fait de pire : de quoi tuer et détruire. Digne d'un comics, sauf que c'est la réalité. Les héros ne sont pas adulés, choyés. On a peur d'eux, on ne les accepte pas car ils sont plus que différents.
Après cet épisode traumatique, Koike Sayaka passe six mois en hospice, à jamais marquée, brûlée. Elle vagabonde ensuite pendant deux ans dans les rues de plusieurs villes, en survivant grâce à ses implants encore fonctionnels. Ses parents ne lui viennent pas en aide, trop occupés à gérer les crises psychotiques de Takumi. C'est son ancien maître d'armes qui, au détour d'une rue, la reconnait, alors que ses lunettes sont brisées, ses cheveux coupés courts et le corps parcouru des cicatrices de ses brûlures. Bouteille en main, elle manquera de l'agresser dans une hallucination due à son PTSD. Il la prend sous son aile, l'aide à redevenir un tant soi peu humaine. Elle reprend ses entraînements à la lame, bien que la Sayaka avant la bombe a disparu sous la violence, les traumatismes non dits et la sauvagerie que lui a inculqué le fait de devoir survivre dans la rue. La méditation, la musculation mais aussi le maniement des lames apaisent un peu son âme, mais cela ne suffit pas. Le besoin de violence est toujours présent. Alors son maître d'armes l'intègre à un programme préparant des gens rompus à l'exercice physique et une certaine rigueur militaire, à devenir agents de sécurité ou bien garde du corps pour nombre de corporations.
Les mains sont lavées consciencieusement. Le sang s'échappe en filins par endroits, pendant que l'eau coupe de son bruit le pesant silence. Le corps se retourne ensuite, pendant qu'une serviette sert au séchage, afin de jeter un œil au siège se trouvant plus loin. Sur ce siège de charcudoc, une femme est assise, regard tourné vers un écran. Ses implants de jambes ont été enlevés, tailladés à l'aide d'une lame assez tranchante pour mettre à mal la structure métallique. Ses doigts, dépourvus de ses ongles stylisés, tremblent par intermittences.
- Tu vois, Barbara, au final le temps leur aura donné raison.
Les mains s'emparent d'un bol, dans lequel se trouve une espèce de soupe phô. On s'avance vers cette femme qui n'a pas la capacité de s'échapper, et que l'on a laissé volontairement consciente après de tels sévices. La bouche de la femme est ouverte avec force, et une cuillère de la nourriture lui est donnée sans douceur. La personne dans les ombres s'avance un peu, pendant que l'autre continue de gaver la suppliciée.
- Et elle est le temps. Le temps qui te fait comprendre ton erreur. Celle qui te rappelle que tu n'aurais jamais dû jouer les salopes, avec tes petits airs de sainte nitouche chrétienne. Je t'avais prévenu que te la jouer syndicaliste et opportuniste allait te retomber sur la gueule.
Une nouvelle bouchée est forcée, accompagnée de gargarisme de la part de la dite Barbara. On lui donne à manger avec force, sans aucun état d'âme pour sa personne.
- Du coup, on s'est dits que ce serait bien qu'après tout ça, on te fasse manger de ta propre soupe. Du coup, ça fait quoi ... de manger de sa propre soupe.
L'homme sort des ombres et sourit, pendant que la femme se contorsionne en voyant enfin celui qui lui parle, pendant que cette femme au visage parcouru de brûlures, lui enfonce la cuillère jusqu'à la glotte.
- Ton mari sera heureux d'ailleurs. Lui qui voulait avoir des yeux partout, il en aura sur ton intérieur.
Et là Barbara comprend. Elle comprend que cette soupe phô n'en avait que le nom. Que le salé et la consistance de ces boulettes n'avaient rien de boulettes. Elle veut vomir, mais on l'en empêche en lui pinçant le nez, en gardant la courbe de la cuillère contre sa langue et en penchant sa tête en arrière d'une poigne ferme sur ses cheveux. Ses yeux écarquillés cherchent un repère, un espoir, alors qu'elle avale, avale ... Et tout ce qu'elle voit, c'est ce visage déchiré, brûlé, coupé. Un visage de femme. Elle espère de la solidarité féminine, mais pour Sayaka, elle n'est qu'un objet; bientôt un déchet. Les gargarismes, les ébats de bras ou de jambes (ou du moins ce qu'il en reste) ne la font pas flancher. Pire, elle serait capable d'enfoncer cette cuillère au fond de la gorge de la torturée. Pas de frissons, pas d'empathie quand celle-ci se met à geindre ou tourner de l'oeil. Elle doit avaler. Et quand c'est fait, Sayaka se redresse, puis s'avance vers l'homme, qui lui tend alors une mallette.
- J'ai mis plus en extra pour la soupe
- Merci. Bonne soirée.
Sayaka prend la mallette et remet sa veste. Puis, elle part sans se retourner, sans avoir ne serait-ce qu'une once de regret pour avoir laissé la femme dépourvue de jambes avec son tortionnaire principal. Pour elle, c'est normal. Cette nana a voulu jouer les salopes avec ses patrons, elle en paie le prix.
Les mois passent. Sa prise de fonction en tant que garde du corps, mais aussi tueuse à gages pour ses patrons, lui donnent de nouveaux points de repères. Suivi psychologique régulier. Prend plus soin d'elle. Refuse une pose de prothèses esthétiques qui cacheraient ses blessures de guerre. Loyale envers ses employeurs. Efficace, discrète. Impitoyable. Sans doute plus machine qu'un androïde. Connaissance de D-Vice par la force des choses; elle a éliminé quelques prisonners et players pour le compte de ses patrons. Ici aussi, c'est une zone de guerre. Mais cette fois, la mort des gens ne vient pas la hanter durant ses nuits car ... elle prend du plaisir à tuer ceux du même rang que ceux qui l'ont rejetée. Œil pour œil, dent pour dent.