« Mal-... »

Ton corps quitte le sol. Combien de côtes fracturées? Deux? Peut-être trois. En redressant la tête, tu ne vois toujours rien. T’as beau tendre l’oreille, rien ne parvient à t’aiguiller sur ta location.

« S’te plait décroche… »

Qu’elle te réponde ou non, tu sais déjà qu’elle ne sera pas capable de te retrouver. Un nouveau coup à l'abdomen t’incite à te tordre, mais cette fois tu es restreint dans tes mouvements. On te tient les deux bras. Non pas que l’idée te viendrait de te déchainer à l’aveugle.
Tu ne sais même pas ce que tu fais là, à te prendre une branlée phénoménale par des types dont tu n’as même pas encore vu les visages. T’as juste senti quelque chose te tomber dessus et la seconde suivante, on te privait de ta vue. Se faire frapper sans savoir d’où viendra le prochain coup est assez terrifiant, tu dois bien l’avouer.

Depuis combien de temps ça dure?
Est-ce qu’ils vont finir par se lasser?
Ou est-ce qu’ils te tueront avant?

Qui sont les malades derrière cette application? T’avais simplement envie de te faire de la thune facile, pas de finir dans une putain de secte. C’est quoi ce bordel? T’as désobéis alors on te punit. Maintenant tu dois accepter de te soumettre à nouveau aux règles, tu dois jurer de ne pas recommencer et accepter de payer pour ton comportement.
Qu’est-ce que t’as fait pour mériter de te faire refaire le portrait de cette manière? C’est parce que t’as causé à Malorie, c’est ça? Mais c’est personne Malorie! C’est qu’une gamine sans avenir comme toi, qu’est-ce que ça peut foutre qu’elle soit au courant?

Plus le temps passe et plus on te bombarde avec ce que tu risques à jouer au plus malin. Des menaces et encore des menaces. T’es pas plus inquiet que ça, peut-être que la douleur t’empêche de réfléchir sainement. D-VICE va te prendre tout ce que tu possèdes et t’en sourirait presque.
Parce que tu n’as rien. Dans cette ville, tu ne représentes absolument rien. Ta vie ne vaut pas plus que la vie d’un rat au fond d’une benne.

Plus tard, tu reprends tes esprits sans même avoir réalisé ta perte de connaissance. Ton crâne est lourd et tu peines à ouvrir les yeux. La nuit est tombée.

« Hm…? Eh- Rend moi ça! » En train de fouiller tes poches, un vieillard avec une tronche de raisin sec et trois poils sur le caillou. « Ah- la vache… » Tu t’es peut-être relevé un peu vite sous la surprise.

Ton dos se cogne au mur contre lequel tu reposais et tu te traînes lourdement jusqu’au bout de la ruelle et t’appuyant à ce dernier. Qu’est-ce que tu fous dans ce quartier? C’est pas du tout ici que t’étais avec Malorie.

« Mal? »

Elle dort? T’essaies d’autres numéros, quelqu’un finira bien par te répondre le temps que tu trouves où te caler. A mesure que tu découvres le coin, t’as comme l’impression de le connaître. Enfin, c’est plus qu’une impression. T’es déjà venu ici. Alors tu te rends à la seul adresse que tu connais dans les environs avec l’espoir d’y trouver un refuge le temps que tu mettes un peu d’ordre dans ta tête.

Tu sonnes. Une fois.
Deux fois.
Et tu t’écroules lentement pour finir par t’asseoir au sol près de l'entrée, essuyant un filet de sang qui dévale de ta narine.

La porte s’ouvre et ce corps pathétique qui est le tien s'affaisse sur lui-même, puis dans un sursaut, un sourire apparaît derrière tes mèches blondes. C’est donc ici que tu es venu chercher de l’aide? Pas idée de qui se trouve là, de quel frangin est venu se moquer de ton allure. Quel fils de pute, c’est une façon de recevoir ses amis ça? Hm. Pas la force de rétorquer, une de tes mains se glisse le long de tes côtes avant que tu ne te penches en avant en posant la seconde parterre en appui.
Ta mâchoire se serre lorsque tu tentes de pousser pour te relever, ça fait un mal de chien. En désespoir de cause, tu le sollicites, pose une main sur son bras et remonte sur son épaule. Peut-être que tu vas finir dans les pommes à force d’essayer de te lever et peut-être bien qu’ils vont devoir te traîner sur le sol pour te ramener à l’intérieur. L’espace d’un instant, c’est son col que tu tiens et ton bras s’épuise et retombe.

« Pourquoi tu m’aides pas… Tu veux m’voir ramper, hein… C’est ça? » Ta trachée s’irrite en essayant de ricaner et tes poumons se déchirent. Une violente toux te saisit, t’as l’impression de crever à chaque son que tu émets.

Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on se régale de ta souffrance, tu y es habitué. T’as vécu bien pire que ce moment et subi bien pires atrocités, mais jamais au prix de ta liberté. T’es dans une belle merde, une dont tu vas avoir du mal à te dépétrer. Qu’est-ce que tu fous là? Pas seulement ici, devant cette porte, mais dans cette ville? Depuis quand tu cours derrière la mort comme ça, ça te ressemble pas.
T’es pourtant incapable d’abandonner. Là bas, chez toi, ils ont besoin que tu tiennes bon, que tu t’en sortes. Tu leur a promis. D-VICE n’est qu’une app à la con créée par des barjos. Qu’ils viennent. Qu’ils viennent tous te rouer de coups. Tu les attendras les bras grands ouverts.
Ah, ça y est, tu délires. La peur s’efface, tu ne crains plus leurs voix. Combien étaient-ils déjà? Trois? Peut-être quatre? Ils cognent dur, assez pour que tu t’écrases, mais pas assez pour te tuer. Tu résisteras un peu mieux la prochaine fois, tu sauras quoi protéger pour ne pas finir dans un tel état. Tu poseras plus de questions et sans doute que ça les agacera. Alors tu serreras davantage les dents. Ouais. T’es curieux de savoir ce que ça leur fera.

Coupé du monde, ta vue se brouille. Le bruit blanc. Le statique de l’écran et finalement, la coupure de courant. Ta joue s’écrase sur le bitume, tu sombres malgré tous tes efforts.