Cheers

   

Soirée de merde. Je sais pas ce que je fous ici, et elle non plus. Assourdie par les assauts répétés des basses, je regarde le liquide irisé frétiller à chaque fois que les haut-parleurs grésillent. Ca n’a jamais été mon élément, les endroits bondés. Bruyants. Simplement une obligation ; une peine nécessaire pour faire de l’argent et des nouvelles rencontres. Baal ? Elle n’apprécie pas beaucoup plus ce genre d’endroits. La rose a l’alcool incroyablement festif. Donc avec assez de verres dans le pif, elle finit forcément par s’amuser et se faire des potes. Le barman me lance le coude dans l’épaule. Demande combien de filles elle va choper ce soir. Je réponds que j’en sais rien. Que je finis mon verre et je rentre.
Alors je finis mon verre.

Baal repose la puce, et allume son joint. Elle a soif, ce soir. Les copains sont pas dispos ? Pas grave. Elle va aller boire, danser. Jouer, rencontrer. Charmer, dévorer. Tout, pour s’occuper. N’importe quoi, pour ne pas y penser. Par pitié, faites qu’elle puisse le mettre de côté. Que l’âme de feu la nippone et ses états restent dans les puces où elle les y cachait, et le cœur de celle à qui elle manque. Alors on se lave le corps. On prend sa douche. On oublie pas de saluer les filles en sortant des douches. On s’hydrate, se parfume. Une chemise blanche, une cravate noire. Un harnais/holster en cuir. Un chino noir près du corps. Les sempiternelles rangers noires. Parce qu’il n’y a qu’en écrase-merde qu’on peut parer à toute possibilité. Puis, la coquetterie prend le dessus. Ce seront des escarpins ce soir.
Victoria arrive tôt. « -Helloooo Billy-Joe ! Comment va mon viking préféré ? La bez’ ? Et madame ? Toujours en cloque ? » Car il serait bête de croire qu’elle veut oublier. Qui oserait ne serait-ce que penser un jour être capable d’ôter Misaki de sa mémoire ? « -Qu’est-ce que je bois ? Ben comme d’hab ! Et double-dose, hein ! »

Les lumières commencent à aller et venir au rythme de la musique. Baal observe calmement les corps mal éclairés qui ondulent de plus en plus à mesure que la boisson les désinhibe. Elle les jugerait, si elle ne faisait pas la même chose qu’eux. S’empoisonner, juste ce qu’il faut, pour que le passé brûle moins que l’alcool. Atteindre la dose où le psychotrope inonde pile assez de neurones pour qu’on ignore le poids des casseroles qu’on traîne derrière nous. L’un danse pour oublier sa famille abusive. L’autre gesticule jusqu’à en faire disparaître ses complexe. En voilà une qui fait de son charme sa seule arme contre le désespoir. On essaie d’oublier, mais tout ce qu’on peut, c’est ignorer, le temps que la liesse fait effet.
La rose navigue, se meut avec aisance dans cette mascarade aussi élaborée qu’elle est bancale. Un spectacle à l’abri de l’ombre. Des acteurs qui veulent attirer tous les regards, mais choisir ceux qu’ils accrochent. Des bagnards qui donneraient eux-mêmes les maillets avec lesquels seront prononcées leurs sentences.
Une hermine qui ondule dans un nid de vipères. Elle danse, comme la plupart des mustélidés de son gabarit, pour brouiller la vision de ses prédateurs et rendre, pétrifiées par la confusion, ses proies plus faciles à atteindre. La vipère se tasse, prête à bondir. Pourtant, l’autre s’approche. Et la première ne peut qu’observer. Tout observer. Sa démarche, l’état de son verre. Les multiples traces là où les lèvres se sont posées. Le fugace et paradoxal sentiment de jalousie éprouvé envers un contenant en plastique –sale, qui plus est ! Le cuir qui souligne ses formes. L’éthanol qui souligne son souffle. L’hésitation qui rehausse ses traits. Baal sourit. Enroule ses doigts autour du verre –et la main qui le tient- et l’enserre délicatement pour l’amener à ses lèvres. Il n’était qu’à moitié plein, et quitte sa lippe complètement vide. Passant un pouce rustre au coin de sa bouche pour y récolter la dernière goutte disponible, Victoria sourit lentement à la belle.

« -Je gagne un verre et une danse avec une jolie fille ?! Mais c’est mon jour de chance ! », dit –hurle, pour outrepasser l’assourdissante musique, Baal, une tique grignotant peu à peu son esprit.

La bête ne lâche rien, alors que les deux femmes commencent à onduler l’une proche de l’autre. Un statut qui a toujours fait rire Victoria. A quelle distance danse-t-on avec quelqu’un, et plus à côté ? Quel lien fait que nos gesticulations sont destinées à une personne en particulier, et pas jute à l’implacable vide que l’on tente vainement de combler en inventant du sens à nos vies ? Qu’est-ce qui sépare le déchaînement simple et libérateur de la parade nuptiale ?

Et où est-ce que Vi a déjà vu cette nana, bordel de feu de merde ?!