TW ; Pensées suicidaires ; IsolementUn matin on se lève et plus rien.
Hier on vivait, aujourd'hui on s'éteint.
“ Keo, je suis désolé. C’est pas ce que je voulais je te le jure. Je te promets que ce sera la dernière fois, après ce soir… Enfin, je reviendrais demain matin, mais si tu veux m’appeler quand tu auras ce message… Enfin tu sais quoi. Bref hum… Je t’aime, petit frère. ”C’est la première fois.
La dernière également.
Que tu as entendu ces mots sortir de sa bouche.
Et ce message, Keo, il boucle.
Lorsque tout le monde dort, toi, tu te bouffe les doigts jusqu’au sang.
Te perdant dans un passé révolu.
Retenant les larmes parce que tu risquerais de perdre encore des morceaux de toi.
Lui qui a déjà tout arraché. Il ne reste plus rien.
Tu es né dans ce bordel. Dans cet endroit miteux. Avec un père absent et une mère usée par la vie. Si tu avais su qu’ils partiraient tous bien avant toi. Si tu avais su que le sablier était si près de la fin… Tu les aurais pris dans tes bras. Parce que la mort n’attends pas.
Cette mère blessée par la vie. Qui a tout fait pour s’en sortir. Pour vous élever. Qui se savait chanceuse d’avoir deux beaux garçons. Parce qu’ils pouvaient être turbulents et toujours ensemble, mais ils disaient toujours ; Quand on sera riche, tu seras la première à pouvoir en profiter, maman.
Elle se savait bénie malgré la dureté de cette vie pourrie dans le bidonville. Et elle savait que le temps lui était compté.
Tu ne pourras jamais assez la remercier. D’avoir tout fait pour que vous puissiez continuer d’avancer. Pour que ton frère aîné puisse prendre soin de toi malgré tout. Elle a renoncé à un moindre confort. Aux soins. Pour tout donner à ses enfants.
Et tu sais, Keo, qu’elle serait putain de triste de te voir aujourd’hui.
Elle serait putain de triste de voir que tu as baissé les bras.
Même si tu pourrais lui rétorquer ce reproche. “ J’ai un cancer, ce n’est pas comme si j’avais eu une chance.” elle avait des chances, mais pas l’argent pour.
C’est ça la vérité et tu sais, Keo, que ses raisons seront toujours plus légitimes que les tiennes.
Que le dernier debout n’est pas forcément le meilleur.
Mais la vérité c’est que le dernier debout, c’est l’unique perdant.
“ T’inquiète pas, ça va aller !”Des mots réconfortants. Il n’a jamais cessé de te pousser. De te rassurer. D’être là. Ton grand frère, Keo, c’était ton repère. Ton pilier et ton père. C’est la personne pour qui tu aurais sacrifié ta propre vie si ça avait pu le sauver. Parce que tu savais pertinemment que sans lui, tu ne serais plus rien. Rien de plus qu’une coquille vide. Parce que c’est lui qui t’as tout donné. C’est grâce à lui que tu as connu la gloire. Que tu as cru en toi. C’est grâce à lui que tu es arrivé au sommet. Toujours derrière toi.
Si tu as connu le luxe, le confort. Si tu pouvais rire, c’est grâce à lui. Tout le matos que tu as eu pour commencer, c’est lui qui te l’as donné. Il devenait connu. Il riait toujours en disant que c’était sa belle gueule qui le servait. Et du haut de tes quatorze ans, tu n’as jamais osé poser des questions. D’ailleurs, tu le croyais. C’est son talent qui lui offrait tout cela. Il était forcément extraordinaire pour tous ces gens.
Comme il l’était pour toi.
Comme l’homme incroyable que tu rêvais de devenir, toi aussi.
“ Sors de ta zone de confort, Rose.” C’est pour cette unique raison que tu es rentré ce soir-là. Les cheveux courts et violets. Persuadé qu’être voyant ferait de toi quelqu’un. Qu’ils se souviendraient tous de ce gamin de quinze ans derrière son écran. Jouant à des fps.
Et tu n’as pas eu tort.
C’est arrivé.
Petit à petit, tu es devenu quelqu’un.
Toi aussi, sans savoir que tu le dépasserais largement. Le petit prince, c’est comme ça qu’il te surnommait, mais quand tu y repenses, Keo… est-ce que c’est à cause de ça ? Est-ce que c’est à cause de toi ? Si tu avais su.
Putain.Si tu avais su tout ça. Si tu savais tout. Tu ne sortirais jamais du bidonville alors peut-être qu’il serait encore là. Même si ce n’est pas cela. Même s’il cherchait juste à faire de vous des hommes plus riches encore. Avide de ce luxe que vous n’aviez jamais connu. Même s’il cherchait juste à t’élever encore plus. Qui sait. Peu importe. Peu importe. Persuadé qu’en définitive c’est à cause de toi. D’un sentiment d’infériorité. Un sentiment de rejet. Il n’aurait pas pu se résoudre à compter sur toi. Le grand frère n’aurait pas pu supporter que tu ne puisses plus dépendre de lui. Qu’il ne soit plus celui que tu idéalisais. Il n’aurait pas pu supporter de te perdre de vue.
Mais c’est toi.
C’est toi qui l’a perdu de vue.
Rien qu’un instant.
Rien qu’une nuit.
Et tout était fini.
Putain tout était fini.
“ C’est quoi ces conneries, Drake ? D-Vice ? Sérieusement ? Depuis quand ? Qu’est-ce qu’ils te font faire ces connards ? ” il était prêt à se défendre. A te rétorquer que tout allait bien. Que ce n'était qu'une nouvelle lubie à Lumopolis. Que c'était tendance ces derniers temps, mais il a tiqué.
“ Comment tu sais tout ça ? Comment tu sais qu’ils me demandent des trucs, Keo ? ” parce que toi aussi, tu as fini dessus. Intrigué par la nouveauté. Parce que tu n’étais pas différent de lui.
Les gamins pauvres qui rêvaient de plus.
Qui s’enivraient de l’argent.
De la notoriété et la reconnaissance.
Vous avez rêvé jusqu’à flamber toute votre vie.
Tu te souviens de votre conversation ce soir-là. De votre dispute et finalement de votre arrangement. Drake ferait le plus dangereux, le plus rentable, le plus "lucratif". Toi, tu devais tout faire pour n'avoir que des défis simples. Pour être à l'abri. Tu n’avais pas ton mot à dire.
Et durant quelque mois c’est ce qu’il a fait.
C’est ce que tu as fait, Keo.
Acceptant de répondre aux demandes raisonnées uniquement.
Pendant qu’il allait toujours de plus en plus loin.
Parce que tu ne pouvais pas te permettre de te blesser. Non toi, tu devais jouer. Et peut-être que tu le soupçonne d’avoir cherché à t’écarter. Encore et toujours pour garder le contrôle. Tu ne sauras jamais. Si en vérité il voulait te protéger ou seulement garder sa place quitte à se brûler.
Mais, encore une fois, si c’est à cause de toi…
Ah.T’aimeras croire le contraire. Et quand t’étais jeune, tu le croyais, mais aujourd’hui.
T’aimeras vraiment le croire.
Mais c’est trop dur de n’avoir personne à détester.
Ce serait trop dur de n’avoir aucun coupable.
Alors que tu sais.
Ton frère voulait te protéger.
Mais c’est plus simple à vivre.
Si tu peux t’en vouloir.
D’être le seul encore debout.
“ Arrête Drake, tu vas pas faire ça ? Tu vas pas sérieusement faire cette merde ?! Putain casse toi et reviens pas si t’acceptes vraiment ces conneries !!” c’est la dernière fois que tu lui as parlé.
Tes derniers mots.
Souvent c’est ce que l’on regrette le plus.
Tu l’as regardé passer la porte. Un air désolé sur les traits. Un sourire qui se voulait bienveillant. Et toi, toi tu te souviens d’avoir tiré la gueule. D’avoir eu l’air pitoyable et amer.
Tu te souviens de lui avoir fait un doigt lorsque la porte se refermait.
Et tu te souviens de son message.
A trois heures du mat.
Cet appel que tu n’as pas loupé parce que tu dormais.
Cet appel que tu regrettes d’avoir évité.
Putain ça fait si mal.
Quand tu y repenses.
Tu voudrais t’arracher le coeur, Keo.
Le broyer jusqu’à l’oublier.
“ Keo, je suis désolé.” ta gueule. “ C’est pas ce que je voulais je te le jure. ” alors pourquoi t’es pas là. “ Je te promets que ce sera la dernière fois, après ce soir…” après ce soir quoi ? Ne promets rien que tu puisses pas tenir, connard. “ Enfin, je reviendrais demain matin, mais si tu veux m’appeler quand tu auras ce message…” va te faire foutre. Combien de putain de matins sont déjà passés à ton avis ?? Combien de fois tu crois que je t’ai appelé depuis ?? POURQUOI PERSONNE NE RÉPOND JAMAIS ?? “ Enfin tu sais quoi. Bref hum… Je t’aime, petit frère.” … Pourquoi est-ce que t’es plus là pour me le dire en face… Putain.
Moi aussi. Je t’aime putain.Mais ces mots n’ont plus d’endroits où aller.
Ils n’ont plus d’endroits où retourner.
Ils n’ont plus d’endroits où se faire entendre.
Ils n’ont plus d’endroits où ils peuvent l’atteindre.
Ces mots n’ont plus de sens.
Ils sont vides à présent.
“ C’était un accident.” Un accident n’enfonce pas le crâne des gens. Tu ne sais plus combien de fois, ça aussi, tu l’as dit. Tu en voulais à cette vie et à la Terre. T’as crié, mais t’étais bloqué sous la mer. Etouffé par tout le bruit autour de toi. Personne pour t’entendre et personne pour t’écouter.
C’est à cause
d’eux. Tu voulais leur cracher à la gueule, mais t’avais personne vers qui te tourner.
Alors tu as utilisé le seul moyen qu’il te restait.
Déverser ta haine entière sur tes réseaux. Sur ton stream.
Dans la moindre de tes vidéos.
En croyant bêtement que ça changerait quelque chose.
Qu’ils ne pourraient pas s’en sortir.
Que cette injustice serait réparée, mais tu croyais quoi, Keo.
Ils étaient tellement plus importants que toi.
Ils seront toujours plus imposants que vous.
Vous… vous vous croyez être quelqu’un.
Parce que vous avez un peu d’argent.
Un brin de notoriété, parce qu’on vous reconnaît.
Vous vous croyez grands, mais vous n’êtes rien.
Rien de plus que des pions.
Et les pions c’est facile à défoncer.
La douleur. Le sang. Les côtes qui se brisent. La vérité et la réalité. Tu n’iras jamais nul part. Peu importe ce que tu feras. Tu seras toujours à eux. Alors c’est ça. Est-ce qu’ils l’ont buté parce qu’il voulait s’échapper ? Peu importe comment, tu refuses de croire que c’était un accident. Alors les théories se font un chemin. Qu'elles soient vraies ou seulement des chimères, ça ne changera rien.
Parce que toi, t’es plus rien.
Un fantôme qui cherche à survivre sans savoir pourquoi.
Destitué de son piédestal en une fraction de seconde.
Tu t’es terré dans le noir.
Tu ne sais plus combien de fois tu as essayé.
Tu as rêvé de te flinguer.
Sans jamais y arriver.
Et finalement, t’es vaguement revenu à la vie.
Parce que tu ne supportais plus d’être seul dans le noir.
Avec sa
voix.
Aujourd'hui ça fait déjà un an qu'il n'est plus là.
Et deux ans que tu as fait le mauvais choix.