La journée a été longue. Trop longue. Pourtant Jesse a gardé son sourire pendant toute la durée du tournage. En dehors de son manager, Glenn, le jeune chanteur n’a pas vraiment eu de conversations autre que par politesse. Lui qui devrait avoir l’habitude d’être sur un plateau et répondre à toute sorte de questions… C’est différent depuis qu’il n’est plus dans un groupe, il n’y a plus personne pour parler au nom de tous et Jesse se voit obligé de participer plus activement. Ce qu’il a encore beaucoup de mal à faire naturellement, cela dit, ça colle ave son image réservée, alors il se contente d’apprécier quand les autres invités ou le présentateur le sollicitent. Toujours est-il que c’est plié et qu’il peut enfin prendre le chemin de son chez lui. Et retrouver le silence désagréable qui règne dans cet espace bien trop grand pour un seul homme. Ou un bout d’homme, vu sa carrure de bonhomme bien solide.

Il soupire en se laissant tomber dans son canapé. Son manager n’est pas monté, il l’a simplement reconduit jusqu’à l’immeuble. Les deux gemmes violacées se posent sur le plafond, observant le vide un long moment. Suffisamment longtemps pour que la sirène finisse par sentir le malaise ramper sous sa peau, tant et si bien qu’il se lève pour aller prendre une douche. Il aurait encore préféré vivre avec sa mère, mais celle-ci a insisté pour qu’il ait son propre chez lui. Elle paie, il vit.

Mais lui n’aime pas trop ça, ‘chez lui’. Il est tout seul. Tout le temps. Et boire seul c’est encore plus triste que de boire seul en boite. C’est la raison pour laquelle, comme un grand garçon, Jesse a fait tout le chemin jusqu’à la Strip. Il n’a plus qu’à choisir un bar ou une boite, un peu au hasard. Son téléphone affiche 23h14, ce qui lui semble parfaitement raisonnable pour aller s’échouer sur un tabouret dans l’endroit le plus bruyant possible pour ne pas mourir d’angoisse dans le silence qui règne ‘à la maison’.

Et si rien n’a vraiment d’intérêt, ni le lieu ni les gens, Jesse trouve une place, tout au bout du comptoir. Il sera bien dans son coin. Pas un seul regard pour qui que ce soit, il se contente de s’asseoir et d’attendre qu’on vienne prendre sa commande. Il n’est pas sûr de ce qui créera la migraine qu’il aura demain : la musique ou l’alcool, mais dans tous les cas il a ce qu’il voulait. Exister au milieu d’une foule qui ne s’intéresse pas à lui. Seul, mais pas vraiment. Jusqu’à ce que l’un des barmans se pointe. La tête appuyée contre son poing, Jesse lève le nez de son écran, toujours plus haut… Mais c’est légal d’être aussi grand…? Quel est l’intérêt même ? Exploser les cervicales de tout Vegas ?

Il n’a pas écouté tout ce qui a pu lui être dit, il a commandé peu importe ce que lui a recommandé le colosse de l’autre côté du bar avant de retourner à son scrolling. Et tout aurait été absolument merveilleux si un idiot n’avait pas jeté son dévolu sur lui. Apparu de nulle part, comme un bon coup de soleil désagréable, il a fini par s’étaler à moitié sur la pauvre sirène qui a pourtant tout fait pour n’avoir aucun contact visuel avec l’énergumène. Il a beau se pencher, l’autre blaireau continue de suivre le mouvement. Il n’est pas tout à fait sûr, mais l'autre doit être bien déchiré et Jesse n’aura pas moyen de siroter son cocktail en paix. Un frisson de dégoût le parcourt en sentant que son bras prend lentement, mais sûrement, place dans le bas de son dos. « Mon petit ami va finir par te faire perdre tes dents si tu continues. » lâche Jesse dans les trente secondes qui ont suivies l’arrivée du déchet humain qui pense avoir une chance de lui passer dessus. Le type le toise, comme s’il était le connard le plus intelligent dans la pièce.

« Ouais, ouais… Tss ! J’te matte depuis un moment et y a personne avec toi. Fais pas l’difficile, sois mignon, hein. »

Jesse aurait pu vomir à la sensation des doigts qui ne sont pas loin de saisir sa hanche, alors il lance un regard à l’immense serveur qui semble venir dans leur direction. Dieu merci, le géant semble avoir l’œil pour les fils de pute qui ne savent pas entendre un non. L’idol désigne son sauver d’un geste délicat de la main.

« Promis juré, mon ange, il est venu tout seul et il veut pas me lâcher… Je lui ai dit que mon mec aimait pas vraiment qu’on me fasse du rentre dedans sous son nez… Tu vois, quand je te dis que venir quand tu travailles c’est pas une bonne idée. »

Dépité. Pauvre créature frêle et délicate qu’est Jesse, papillonnant de ses longs cils de princesse vers le barman qu’il ne connait ni d’Adam ni d’Eve et qui est désormais son petit ami. Au moins, le temps qu’il finisse de se bourrer. Et vu la carrure du bestiau, au moins Jesse est sûr qu’il aura la paix. En espérant qu’il ne soit pas aussi bête que beau… Ça serait bien sa veine de tomber sur un himbo pas capable de suivre le mouvement. En attendant, l’idiot du village s’est redressé en réalisant que Jesse a bel et bien un ‘petit ami’, même comme ça, le serveur a une bonne tête de plus et la largeur d’une commode pas si commode. Le chanteur pose son menton sur quelques-uns de ses doigts, souriant à son ‘ange’ alors qu’il glisse sa paille dans sa bouche à l’aide du bout de sa langue.

Jesse… Jesse ne sait pas s’il est content d’avoir été suivi dans ses conneries ou pas, malgré tout, il esquisse un sourire amusé. La différence entre leurs mains occupe son esprit embrumé par l’alcool un moment. Fuck, les hétéros sont vraiment la plaie de l’humanité… Cette même main qui se perd ensuite dans la soie violette de ses cheveux alors que Jesse gonfle les joues, sirotant encore son cocktail. Le gros blaireau commençant à bafouiller des excuses pour l’énorme ours face à la querelle amoureuse qui se déroule sous ses yeux ébahis. Comme quoi tous les mâles préfèrent régler les problèmes entre eux plutôt que de dire à la pauvre demoiselle en détresse qu’est Jesse qu’il est désolé d’avoir tenté de mettre sa queue entre ses cuisses. En entendant sa réponse, le chanteur se contente d’aspirer la fin de son verre, avant de grimper souplement sur le tabouret pour venir poser ses deux mains sur les épaules de son ‘ange’.

« Je suis timide, » ronronne-t-il.

Il est surtout bien éméché. Et le rire du colosse est imprimé dans son esprit. Aucune bonne raison, il se sent encore plus petit maintenant que le barman l’a pris contre lui pour le faire passer de l’autre côté. Mais surtout, l’inconnu ne l’a pas reposé au sol. Les deux perles rose et violette observent le profil qui lui fait face tandis que ses bras s’enroulent autour du cou du serveur. « Merci, » a-t-il murmuré une fois bien blotti à lui. Il devrait vraiment arrêter de le regarder maintenant, mais comme il est, quelque peu, ivre, il n’arrive pas à détacher ses précieuses de lui. C’est toujours ceux qui sont le plus loin possible d’avoir envie de lui qui lui plaisent et ce barman ne fait pas exception. Il a certainement des goûts déplorables en plus de ça. Genre les meufs avec une énorme poitrine et bien en chair. Il fait une légère grimace juste à l’image mentale qu’il vient de se faire. Pas la peine qu’il se compare à pareilles créatures, il est loin de toutes ces formes féminines.

Pourtant toutes ces idées ont parasité son esprit depuis qu’il est venu lui proposer sa ‘spécialité du chef’ et Jesse n’a pas réussi à ne pas le regarder en maudissant l’hétérosexualité, le fléau des temps modernes, dans son esprit. Et maintenant qu’il le voit d’aussi près, qu’il est assis sur son avant-bras, pressé contre son corps et ses jambes accrochées autour de sa taille, ça ne l’aide pas à ne pas maudire toutes les femelles de l’univers. Pas du tout son genre aussi… Nan Jesse préfère les hommes plus … moins … Ses sourcils se froncent joliment alors qu’il cherche dans son esprit gorgé d’alcool. Jesse préfère les hommes moins massifs et grands, secs ? Il n’est pas certain du bon terme, mais c’est la première fois qu’il ressent cet étrange sentiment de sécurité en étant aussi proche d’un autre homme. Comme si cet inconnu était devenu un rempart entre lui et toute la noirceur du monde, juste en passant un bras autour de lui.

« T’aimes les mecs aussi ? »

La question est partie si vite. Il n’a pas su la retenir. Ses réflexes sont moindres comme il est très inhibé… Elle était solide sa spécialité… Est-ce qu’on peut vraiment le blâmer ? Jesse l’observe de ses deux billes claires avant de réaliser qu’il est toujours bien dans ses bras. Ça fait même un moment… Il devrait peut-être commencer à se débattre ou quelque chose dans le genre, mais non. Jesse est bien là aussi. Il a dit ‘aussi’, comme si le serveur avait entendu tout son monologue à propos de sa sexualité…

« Je peux avoir un autre verre ? S’il te plait, » demande-t-il en se penchant dangereusement vers le vide pour attraper une paille et un des petits bâtonnets lumineux qui servent de décoration, « mon ange, » ajoute-t-il en se redressant. Il glisse sa nouvelle paille entre ses lèvres qu’il mordille légèrement, un peu nerveux. « Si tu veux, tu peux aussi me poser, tu sais ? J'ai pas envie de m'enfuir. »

Il pourrait presque rougir, mais le jeune homme a déjà les joues rougies à cause de son taux d’alcool alors ça va, il se contentera de sourire à demi. Il n’a pas changé de sujet brutalement ou enchainé les questions pour faire diversion. Non, Jesse a posé toutes ses questions dans un ordre aléatoire, sur le ton de la conversation. Il ne fuit pas non plus son regard lorsqu’il plonge ses yeux dans les siens. Cet homme fait ça avec tellement d’aisance depuis le début. Il regarde Jesse droit dans les yeux, sans sourciller, alors l’idol fait de même. Sans le défier pour autant, juste il le regarde, sa paille dans la bouche. Peut-être que le barman n’est pas aussi straight que ce que son cerveau essaie de lui faire croire.

« Je peux t’appeler ‘mon ange’ toute la nuit, mais je suis sûr que t’as un prénom aussi. »

Tout le monde ? La vie doit être plus facile ainsi. Puis ça veut dire que c’est bien mieux que ce que Jesse avait imaginé : car il fait partie du monde, ce qui est un bon début. Le chanteur se contente de hocher doucement à sa réponse, ses yeux continuant leur examen doux du visage du barman. D’ailleurs, le choix de mettre sur l’alcool l’absence de réaction au fait d’être traité comme un enfant par le staff du club, Jesse a un équilibre bien plus solide qu’il n’y parait. Cela ne l’empêchera nullement d’émettre de petits grognements aux secousses, comme si cela aurait pu lui faire lâcher prise.

Et ses jolis sourcils se froncent encore à la réponse. Calmé ? Jesse a besoin d’être calmé ? Dieu, le jeune homme est déjà particulièrement ‘mou’ si on regarde bien, alors si un verre devait le mettre au tapis sa vie serait d’un ennui mortel. Ses roulent avec un dédain propre à ses airs princiers. Cependant, la deuxième remarque attaquant son âge déclenche un rictus narquois alors qu’il s’en prend à la joue de l’homme. La lui tirant en le pinçant. Ça suffit les remarques désobligeantes sur son apparence maintenant ! Jesse va finir par se sentir mal à l’aise dans son corps à ce rythme, et déjà qu’il n’a pas vraiment confiance en lui, ce gros machin va pas s’y mettre aussi.

« Le sol est trop loin, » dit-il simplement au fait qu’il n’a qu’à sauter s’il souhaite descendre.

Ce qui est, pour tout dire, pas faux, mais cela ne l’empêcherait pas de descendre. Quoique…? Pourrait-il se casser une jambe en sautant de cette hauteur ? Ce qui serait embêtant avec la promotion de son album… S’il ne peut pas danser, cela risque d’être franchement moins bien, de fait : autant ne pas prendre de risques et rester bien sagement là où il se trouve. Exactement. Rien à avoir avec un quelconque sentiment de confort.

Hadès ? C’est bizarre comme prénom ça, non ? Qui a décidé d’appeler son fils comme un très lointain Dieu des morts ? Ce n’est pas très joyeux. Cela dit, ses yeux balaient rapidement les autres personnes qui travaillent avec lui. À part avoir décidé de le vanner sur une paternité soudaine, il ne semble pas y avoir qui que ce soit qui parait réellement agacé par la soudaine affection de Jesse pour le géant.

« Perséphone ne va pas apparaître pour m’étouffer avec un bouquet de fleurs ? » Il pose la question en arquant un sourcil avec son air aussi royal qu’insolent. Ce même air qu’il pose sur la demoiselle qui demande un verre sans alcool. D’un ennui, elle aussi. « Jesse. Moins intéressant que d’avoir le même nom qu’un Dieu et je suis désolé de ne pas faire deux mètres. C’est pas comme si on pouvait tous avoir des gênes de Titan, tss. »

C’est peut-être un surnom cela dit. Ce n’est pas bien grave, Jesse peut bien penser ce qu’il veut, apparemment il n’a de cesse de se tromper. Cela ne l’a jamais arrêté. Juger les autres en silence est une seconde nature avec son métier, tout en gardant un sourire empreint de douceur. Son menton se loge sur l’épaule d’Hadès alors qu’il finit par promener ses doigts dans les cheveux sombres de ce dernier et, parce qu’il est chiant comme la pluie, s’amuse distraitement à souffler de temps à autre dans sa paille contre le cou du titan. Il le regarde faire son travail, sans vraiment imprimer quoique ce soit. De toute façon, il a un peu du mal à rester très concentrer sur ce qu’il se passe avec le bruit, les gens qui vont et viennent… ses doigts qui continuent de jouer avec les mèches d’Hadès.

« De l’alcool fort, mais sucré. J’aime pas quand c’est pas coupé avec autre chose. »

Il pose son coude contre l’épaule pour laisser tomber sa joue contre son poing en attendant sa commande. Qu’il surveille. Enfin, il surveille surtout la seule main d’Hadès apte à faire son cocktail comme l’autre est occupée à le soutenir. Il tend le bras, plaçant sa petite main non loin de la sienne pour les comparer sans rien dire. Jesse n’a pas de petites mains, mais c’est affolant comme elles ont l’air fragiles et minuscules à côté de celle d’Hadès. Ça pourrait presque le vexer d’avoir l’air aussi précieux dans l’immédiat. Aucun commentaire, il se contente de récupérer son verre une fois qu’il est prêt pour y glisser sa paille et boire.

« J’crois, » reprend-t-il après un temps, abandonnant enfin le tube de plastique loin de ses lèvres, « que je m’en branle si Perséphone est pas contente : tu finis à quelle heure ? »

Pourtant, Jesse n’est pas spécialement porté sur le sexe ou tout ce qui s’en rapproche. Pire encore, il n’aime pas trop ça. Du moins, il a du mal à voir pourquoi tout le monde à l’air de trouver ça si bien que ça. Sans trop savoir pourquoi, dans les bras d’Hadès, il a envie d’essayer. Et au pire quoi ? Ça sera aussi peu intéressant que les autres fois et il n’aura qu’à oublier l’existence de cette soirée, comme beaucoup d’autres.

De toute façon, ce n’est pas dit qu’il soit encore éveillé d’ici là. À la vitesse à laquelle il enchaine les verres… La sublime sirène devient même un brin autoritaire, pointant des bouteilles ici et là pour que son adorable ange gardien, et accessoirement Dieu des morts, lui fassent des cocktails avec. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il fait. Zero. Pas une once de connaissance sur le sujet, mais comme Hadès le laisse donner des ordres du moment qu’il paie ses consommations, rien ne semble pouvoir arrêter le petit être.

Jesse est de plus en plus désinhibé et, de fait, de moins en moins capable de discernement ou de ne pas dire ou faire des choses qu’il ne se permettrait pas par retenue. Rien qui ne soit indécent cela dit, non il est simplement plus détendu et à le rire bien plus facile. Même si toute son attention est sur Hadès et toutes les bêtises qu’il peut faire ou dire pour amuser la galerie. C’est un peu flou dans son esprit. Il peut se sentir perdre prise, flotter doucement dans l'océan d'ébriété. Ce qui n'est pas désagréable. Moins que d'habitude. Cette fois c'est amusant. Parce qu'il n'est pas seul.

Jesse ne sait pas à quel moment la fatigue l’a frappé.
Jesse ne risque rien, puisqu’il est toujours dans les bras d’Hadès.
Alors Jesse s’endort.

Passed out. Comme un vrai petit bonhomme. La sieste des champions. Sans le mérite qui va avec. Ce qui ne semble pas déranger Jesse. Ni le bruit ni quoi que ce soit.

Tant mieux d’une certaine façon, parce que si l’on prend le temps de regarder sa soirée, ça ne se serait certainement pas si bien fini. Il s’est accroché à un inconnu comme on le fait avec une bouée de sauvetage au milieu d’un océan. Jesse a bu plus qu’il n’aurait dû, de façon très peu responsable, bien qu’il ne se considère pas tellement comme tel vis-à-vis de sa consommation d’alcool. Et même si ce Hadès a eu la gentillesse de le supporter, rien ne lui dit que ce n’est pas un tueur en série ou pire un prisonnier. De toute façon, il n’était pas tellement son genre. Oui, voilà. Trop grand. Trop bruyant. Trop massif. Tout à fait. Donc ce n’est pas plus mal qu’il soit rentré.

Jesse ne se souvient pas être rentré, mais il a dû le faire comme il a l’impression d’être dans un lit. Il a vaguement un souvenir d’un voyage en voiture, mais simplement parce qu’il a ouvert un œil très rapidement. La sirène cligne des yeux, fort, plusieurs fois avant de s’asseoir en se frottant la joue. Un petit hoquet de surprise le prend en entendant la voix qui l’a bercé toute la nuit, alors il tourne la tête vers la porte. La confusion est grande, mais de courte durée. Putain… Il a vraiment dormi aussi fort que ça ? Comme chez lui ? Il regarde autour de lui essayant de faire le tri dans ses souvenirs très flous.

Un léger moment de panique.

Il fait très noir ici… Trop même. Il se redresse encore, doucement, et les perles aux teintes violacées se posent sur l’océan de ténèbres entre lui et Hadès. Jesse n’ose pas descendre du lit. Il parvient à peine à discerner la silhouette du barman dans l’encadrement de la porte, alors traverser toute cette noirceur ? Il se fiche bien de savoir que la porte soit ouverte, verrouillée ou peu importe ce qu’il vient de dire. Rester seul est une épreuve quotidienne, mais être abandonné dans un lieu qu’il ne connait pas, dans le noir, le terrifie. Sa main se tend vers l’immense forme non loin de lui dans un geste qui tient du désespoir.

« Reste ! Hadès, reste avec moi, s’il te plait… Me laisse pas tout seul. »

Inconsciemment, c’est sa voix qu’il utilise. La peur est trop profonde pour qu’il puisse contrôler tout ce qu’il fait dans l’immédiat. Jesse sait qu’elle a un pouvoir qui tient plus de la subjugation que de la suggestion et, normalement, il ne se permettrait pas d’en abuser pour un oui ou pour un non. Peut-être est-ce parce qu’il n’est pas tout à fait sobre en plus de l’inconnu, de la cécité dans laquelle il est plongé ou simplement l’angoisse de se retrouver seul avec tous ses démons qui l’a poussé, sans s’en rendre compte, à imposer sa volonté à l’ange qui a eu la tendresse de lui tendre la main. Injustement, Jesse vient de lui prendre tout le bras.

Ses bras. La première phrase d’Hadès ne s’enregistre pas dans le cerveau de Jesse, bien trop occupé à retrouver la protection de son étreinte. Il ne répondra qu’un ‘mh’ étouffé, le visage niché dans le cou d'Hadès, à la remarque sur son entêtement, même si la description qu'il fait de lui ne lui correspond pas vraiment, mais le chanteur se fiche bien de rendre des comptes dans l’immédiat. Du moment qu’il n’est pas seul. Il est crispé. Ses doigts ont du mal à défaire leur prise sur sa nuque, mais Jesse finit par lâcher se mettant dans un coin du canapé.

Au moins, ici il ne fait pas complètement noir et même si le jour ne devrait pas tarder à se lever, la sirène doute qu’il fera réellement moins sombre dans cet appartement. Le temps de s’indigner sur l’état des lieux lui manque et pour ainsi dire son esprit est bien trop occupé à essayer de se calmer pour trouver le courage de devenir condescendant.

Une plainte lui échappe lorsqu’il finit sous l’énorme masse qui vient de lui tomber dessus. Mais c’est qu’il est lourd cet idiot ! Cependant résigné, Jesse ne cherche pas vraiment à se dégager, c’est peine perdue. ‘Bah alors’ ? ‘Bah alors’ rien du tout… C’est pas comme s’il y pouvait grand-chose, mais Hadès a la délicatesse de l’aider avant qu’il ne meurt asphyxié sous lui. Siégeant désormais sur ses cuisses, Jesse glisse ses doigts délicats dans ses cheveux pour y remettre de l’ordre après le passage de ceux de la brute. Vraiment… L’idol a le mérite de le faire, c’est déjà ça…

Le naturel revient au galop alors qu’il est occupé à ajuster les mèches devant ses yeux du bout de son annulaire, une moue narquoise nait sur ses lèvres à la mention de ‘pizza qui traine’ suivit de très près par un roulement des yeux particulièrement hautain lorsqu’Hadès lui propose de la limonade. Il repousse du dos de sa main libre les cigarettes, toujours concentré sur ses cheveux.

« Je suis un adulte, tu sais ? » souffle-t-il calmement avant de finalement cesser son activité capillaire pour le regarder.  « Non, merci, ça va. »

Il acquiesce doucement, comme si cela pouvait ajouter un quelconque poids à ses paroles. Jesse l’a suffisamment observé un peu plus tôt dans la soirée, et ce malgré l’alcool, il s’en souvient bien de sa face d’hétéro, alors il regarde autour de lui à la place et le bordel ambiant. Quel enfer… Qui vit comme ça ? Ses yeux reviennent à lui en sentant sa main contre sa nuque, il le regarde sans rien dire et il tente d’ignorer le frisson qui lèche son échine en se perdant dans la petite lueur qui s’allume lorsqu’il tire sur sa cigarette. Son sourcil s’arque gracieusement.

« Tss, » rétorque-t-il à la remarque des plus charmantes, « Massif comme deux exo-blindés et ça bande parce qu’on a un twink sur les genoux ? » Le bout de sa langue passe sur son inférieure avant que Jesse ne mordille sa propre lèvre. « C’est toi qui m’as posé là. Chouine pas, mon ange, si tu veux pas de moi là, t’as qu’à m’faire descendre. »

Il secoue doucement la tête pour dégager sa vue avant de laisser le bout de l’un de ses doigts descendre le long de la nuque d’Hadès, ne perdant pas de vue la progression lente. Et comme son ange gardien se plaint, il gigote légèrement, laissant son bassin s’enticher du sien davantage encore. Là. Il promène ses doigts le long de sa clavicule maintenant, le regardant de haut. Principalement parce qu’il a toujours cet air de précieux petit prince, mais surtout parce que la position fait qu’il est obligé de baisser les yeux pour le voir. Sa grosse tête posée sur l’épaule de Jesse… Et même comme ça, la sirène n’a pas l’air moins fragile.

« Pourquoi tu dors pas dans ton lit ? »

Sa main libre vient se perdre dans les mèches noires, les repoussant pour observer l’hazel de ses yeux. Jesse laisse ses doigts sur sa joue, esquissant une petite moue. Il n’y a pas la moindre once de jugement dans ses mots, une simple curiosité. Puis vu leur proximité, il n’y a pas un sujet qui soit tabou ou alors c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité. Quand il y pense, lui aussi dort assez rarement dans son lit… Du moins pas dans le noir comme ça. La nuit en générale. Il ne dort pas la nuit. Ou très peu. Trop angoissé pour supporter le silence de la nuit en étant sobre, alors il ne trouve le sommeil qu’au fond d’une bouteille de Baileys.

« J’vais avoir froid si on dort là… »

Il souffle un petit rire en disant ça. Les mots sont allés plus vite que sa réflexion. S’ils comptent dormir collés l’un à l’autre comme ça, Jesse ne risque pas d’avoir froid, mais pour la forme : il se doit tout de même de lui rappeler qu’il aime le confort, si cela ne se voyait pas à bouille de gosse de riche.

Hadès ne semble pas contre l’idée de le laisser promener ses délicats doigts sur son corps. Pas spécialement invasif, du moins il ne pose ses doigts que là où il est déjà dénudé d’une certaine façon. Pour une fois, l’odeur de la cigarette ne dérange pas Jesse. Elle a comme un fond de logique, exactement comme le rire du brun ou son corps qui s’agite presque imperceptiblement sous son index. Les réponses sont simples. Leurs conversations sont simples. Hadès n’a pas besoin d’arracher de mots à la sirène qui lui répond sans avoir le moindre mal à trouver quoi dire. Beaucoup de questions, mais, étrangement, avec lui Jesse ne se sent pas interrogé alors il donne des réponses.

Il ne comprend pas pourquoi quelqu’un préférait dormir sur un canapé plutôt que dans un lit. Lui ? Ça ne compte pas. Le chanteur s’endort à cause de l’alcool là où son corps s’est échoué. Rien de plus. Hadès dort sur son canapé parce qu’il ne sait pas pourquoi. Sa tête s’incline très légèrement sur le côté à la nouvelle question. Techniquement, cette boîte était plus proche de chez lui que peu-importe-où-se-trouve cet appartement. Par mimétisme ou par légèreté, Jesse hausse les épaules à son tour :

« Envie de changer. C’est chiant de toujours voir les mêmes connards. Du coup, j’en ai trouvé un nouveau. »

Il y a du vrai. Aussi parce que cela réduit les chances de croiser des gens qu’il connait. Par folie du moment. Par ennui. Sans vraiment de raison particulière. Il sourit malgré tout. Même si le ton est toujours aussi doux et ‘neutre’, comme à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Cette mesure. La discipline. Être ce qu’on lui a demandé d’être, toujours. Et ce même si Hadès ne semble pas le connaître du tout. Tant mieux, ça a quelque chose de rassurant. Jesse n’a pas besoin de se demander s’il lui plait ou si c’est simplement l’idée de ce qu’il représente qui lui plait.

Ni l’un ni l’autre n’est décidé à bouger, alors lorsque le barman prétend chercher ledit plaid, Jesse ne prend pas la peine de faire semblant de s’y intéresser, continuant de faire courir ses doigts sur sa peau et dans ses cheveux. Au pire il aura froid une fois dans sa vie. Leurs corps se heurtent encore alors qu’il éteint sa clope et la sirène est laissée songeuse. Quelque part, il aimerait lui dire qu’il est vierge. Ça aurait été une chouette réponse, mais non. On lui aura vraiment tout enlevé sans se soucier de ce qu’il a en dire.

« Non, mais personne m’a donné de mode d’emploi alors je trouve ça chiant à mourir. »

Il n’y a pas la moindre protestation de se voir arraché à la chaleur qu’il vampirisait tranquillement sur les cuisses du titan. Les jambes croisées, il le regarde se déshabiller. Jesse a bien compris que la pudeur n’était pas fournie avec cette commode. La subtilité non plus. Il ne lui retourne pas la question, ça lui parait bien trop gros pour être vrai. Même si l’idée qu’Hadès soit vierge est assez comique. Manipulé comme une simple poupée de porcelaine entre les mains d’un géant, Jesse se retrouve à nouveau sur lui et il finit par s’asseoir sur le bas de son ventre.

Ça en fait des muscles… Enfin, il en a vu des muscles dans sa vie, en vivant avec quatre autres idiots, c’est pas le problème. C’est plus la masse d’Hadès qui le perturbe. Le chanteur a envie de faire comme les enfants et appuyer partout pour voir, mais il se contentera poser ses petites mains sur son torse. Il sait pertinemment que ses mains ne sont pas si petites que ça, mais tout à l’air miniature chez lui comparé à Hadès. Le silence est étrangement rassurant, mais toujours aussi oppressant d’une certaine façon. Alors il lève les yeux vers lui lorsqu’il parle encore.

Ce n’est pas tant dormir seul qui le dérange : c’est le vide que cela implique. Et il se retrouve seul face à tous les démons qui vivent dans sa tête. Et ça, c’est ce qu’il y a de terrifiant. La raison pour laquelle il ne parvient à trouver le sommeil que dans des états seconds ou après un schedule particulièrement épuisant.

« J’aime pas trop ça, » souffle-t-il. « Merci de n'pas m’avoir laissé dormir au milieu de la rue ou seul. » Ah oui, c’est vrai. Il y a ça aussi. La ‘gratitude’. Mais cette fois elle est sincère. « Pendant un moment, j’ai cru que mon manager avait fini par craquer. »

Glenn est gentil. Mais Glenn bave un peu trop visiblement sur Jesse. Ce qui n’est pas spécialement gênant en soi. Le jeune homme sait très bien ce qu’il vend en fan service ou autres, malgré tout, cela reste fatiguant. Tout le temps devoir mettre de la distance. Peut-être qu’il devrait demander à changer. Il soupire doucement, se laissant couler sur le côté, trouvant refuge contre le dossier du canapé. Puis il finit par se mettre entre l’énorme masse d’Hadès et le dossier, passant ses jambes sur le torse de ce dernier.

« Mais t’as pas l’air d’avoir ce genre de problèmes, toi. » Il gigote un peu, tendant ses mains vers l’avant jusqu’à attraper le paquet de clopes et le briquet, assis sur le bide d’Hadès le temps de l’allumer pour se laisser glisser à nouveau dans son trou, croisant les jambes sur ses abdos. « Quand tu dis ‘non’ les gens doivent entendre ‘non’ et pas ‘peut-être si tu forces ça passe’. La chance. »

Il roule des yeux avant de souffler la fumée avec un petit rire narquois. Hadès est barman, il doit en entendre des choses chiantes. Surement à longueur de journée ou de soirée. Jesse regarde le plafond un moment, se demandant s’il a déjà parlé de ça avec qui que ce soit par le passé. Certainement pas. Il se dit que sa vie serait plus simple s’il avait un mec. Le monde serait sûrement moins tenté de lui passer dessus à la moindre occasion.

« T’es pas en couple ? » Il tourne la tête pour le regarder, sa cigarette entre ses lèvres alors qu’il réfléchit, il tire longuement soufflant un joli nuage blanc par la suite. « Sors avec moi pour les photos. Je m’en branle de ce que tu fais, j’ai juste besoin que tu poses comme mon mec… Dis oui, » ronronne-t-il avec un sourire en coin. Il se penche même dans sa direction, profitant dans son air angélique pour lui faire les yeux doux. « Ça les rendrait fou ! » Lâche-t-il en imaginant la tronche du staff à l’agence avant de laisser échapper un rire. Un vrai rire...

Il sourit encore en l’entendant rire. Hadès a vraiment un rire d’idiot, c’est surement pour ça que ça le fait sourire. Y a aucune autre explication. Habituellement, Jesse n’aime pas trop les gens tactiles avec lui, c’est vrai, mais dans l’immédiat c’est surtout affectueux alors ça le dérange moins. Et comme sa question ensuite sonne comme une observation de sa vie sexuelle plus qu’autre chose, Jesse hausse doucement les épaules. Il n’y a pas grand-chose à dire de plus à ça. Cependant, cela vient sûrement du fait qu’ils aiment l’idée de le baiser plus que l’être humain qu’il est. Une histoire d’égo ou un truc comme ça. Les billes bicolores se posent à nouveau sur Hadès.

Oh là… Ça a l’air compliqué soudainement, mais Jesse ne l’interrompt pas. Il cligne des yeux. Le titan vient de dire un peu tout et son contraire en l’espace de trois phrases, mais au moins il a essayé de le rassurer ? Pas certain que ses conseils soient très utiles cela dit, mais il a essayé et Jesse sourire encore plus en hochant doucement la tête. Ça laisse de quoi réfléchir. Super philosophique et tout. C’est amusant, le chanteur a presque l’impression qu’Hadès ne fait jamais ce genre d’exercice, mais que ce matin, il tente le coup. C’est mignon.

« Tu dis jamais non, mais tu fais quoi ? Trois fois ma corpulence ? »

Une fois qu’il s’est remis dans son coin, Jesse voit sa cigarette s’envoler. Loin de lui. Si vite. Il lui tire la langue lorsqu’il se prend de la fumée dans la figure avant de récupérer la clope qu’il porte à sa bouche. Et comme le jeune homme se laisse couler sur le côté pour lui faire ses yeux de biche, il fait attention à ne bruler personne avec l’arme de destruction massive entre deux de ses doigts. Après, est-ce qu’il est surpris qu’Hadès craque aussi vite ? Pas vraiment. Ce dernier est capable de se contredire tout seul deux fois en l’espace de quelques secondes, alors s’il minaude un peu ça ne devrait pas être trop compliqué.

Il souffle à la tape, avant de définitivement se laisser couler entre la masse et le dossier du canapé. C’est presque miraculeux qu’il tienne dans un si petit espace, mais il n’est pas bien large. Le bras d’Hadès comme coussin, il lance l’une de ses jambes pardessus le ventre du brun, allongé sur le côté. Que la victoire est douce.

« Mon ex ou un truc du genre, ouais. » Il fronce légèrement les sourcils en y pensant. C’est vrai ça. Son ex. Ça le fait glousser un peu. Il souffle sa fumée ailleurs que dans la tronche d’Hadès, lui. Ce n’est pas un animal contrairement à d’autre dont on ne citera pas le nom ici. « Parfait. Va falloir qu’on aille essayer des trucs. Au moins que j’aie la bonne taille pour tes vêtements. Après tu seras libre. »

Jesse lève son petit nez vers lui avant de lui tendre la clope. Maintenant qu’il est bien blotti là, c’est beaucoup trop loin le cendrier et tout le reste, la vie quoi.

«  Tiens, j’en veux plus, » dit-il aussi simplement que ça. « Tu dormirais mieux dans ton lit quand même. » Il laisse un temps, pensif, avant de se faire tout petit contre lui. « Merci, » murmure-t-il finalement en fermant les yeux.