Le monde est rempli de vices, la maestra le sait plus que quiconque. Les charognards sont nombreux à vivre encore, parmi eux elle peut encore compter une bonne partie de sa famille, ne s’éloigne pas trop de ces comportements quand on y réfléchit bien. La morale est arbitraire, lui cause peu de soucis parce qu’elle estime être la seule capable de définir si elle est juste ou non, si elle réussit son objectif. Alors forcément, quand on gère une industrie aussi florissante que celle des plaisirs, de la luxure, on ne se cache plus vraiment de rien. Tout le monde la connaît, n’a jamais démenti son travail, sauf lorsqu’il s’agit d’échapper à la police, quand bien même, elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour les avoir eux aussi à sa botte.
On se moque peu de connaître tous les détails de la ville qu’on tente de manipuler, alors évidement elle est au courant de tout ce qu’il s’y passe. Le jeu mortel qui se déroule sous les yeux de ses protégés, elle le connaît comme si elle y participait elle-même ; pourtant elle y porte peu d’intérêt. Tant que ça n’interfère pas avec ses activités, elle n’a pas besoin de s’en inquiéter, mais aujourd’hui est un jour différent. Les informations ont fuités assez facilement, l’un des chat errant à qui elle avait accordé l’hospice est actuellement chassé par une population dégénérées qui ne pensent qu’à la célébrité. Le pouvoir est la capacité de changer le cours des événements ou d’une personne, mais rien n’est aussi puissant que d’avoir quelqu’un qui a une dette envers vous.

Il ne lui a pas fallu longtemps pour se décider, le petit protégé deviendra redevable, travaillera pour elle, mais avant toute chose il faut réussir à le sauver des griffes de ses poursuivants. Les filles lui indiquent la position qu’elles ont reçues, la madone leur indique de ne pas bouger, de ne rien tenter de stupide, explique qu’elle gérera la situation à sa manière et que toute interférence sera punie. Malheureusement, la rose n’est pas là pour la ramasser et la conduire au lieu d’extraction, étonnant de sa part, mais elle fera avec. Après quelques dizaines de minutes, une berline arrive, blindée pour éviter d’être inquiétée des balles, pour s’enfuir.
Quand elle arrive sur les lieux, la place est bondée, un androïde à ses côtés pour canaliser les plus fous qui auraient la mauvaise idée de s’attaquer à elle, mais aussi pour repérer plus facilement la cible dans la foule. Les talons claquent sur le bitume, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil, elle l’a vu, quand bien même il pense parfaitement se fondre dans la masse, il ne passe pas inaperçu. Pauvre petit, difficile de savoir comment il ne s’est toujours pas fait écraser par la machine.

Il faut parfois peu de choses pour changer le destin d’un être humain, pour le faire céder à des pulsions qui ne laissent aucune place à la raison. Le protégé de la madone est particulièrement au fait de ce genre de choses, aujourd’hui plus que jamais. La peur fait faire des choses idiotes, chaque décision paraît plus intéressante que l’autre pour s’échapper de ce sentiment, mais la plupart sont d’un ridicule affolant. Tout le monde est à ses trousses, il ne passe pas aussi inaperçu qu’il le voudrait et choisir de rentrer dans un magasin où tout le monde exprime son extravagance alors qu’il est de tout de noir vêtu, ça ne prend qu’avec les imbéciles.
La maestra observe le jeune homme tenter d’échapper à ses poursuivants, mais derrière le verre teinté, elle sait qu’il n’aura aucune chance face aux rapaces qui se suivent sa trace. S’il ne lui a fallu qu’une dizaine de minutes à peine pour le retrouver, elle n’imagine pas le nombre de players assoiffés de gloire peuvent bien être à ses trousses en ce moment même. Un long soupir las s’échappe des lèvres de l’Italienne, alors qu’elle s’engouffre elle aussi dans cette chasse idiote, dans ce magasin qui ne sert que la plèbe qui pense avoir les moyens. Ses deux gardes du corps restent à l’entrée, bloquent les allées et venues des indésirables qui penseraient que c’est une belle opportunité pour rattraper le chiot qui s’est égaré ici.

Les yeux défilent sur les articles, font mine d’être intéressé quand bien même ça n’est pas de son goût, elle laisse tomber son regard perçant sur celui qu’elle tente de secourir, celui qu’elle mènera à sa perte dans le futur. Il ne semble pas encore l’avoir remarqué, alors qu’elle n’est pourtant pas bien discrète. Après quelques minutes à peine à simuler un lèche-vitrine de mauvais goût, elle se rapproche de lui, fait tinter ses bracelets en se glissant à ses côtés pour attirer son attention.

— Tu n’es pas habitué à te faire traquer, ça se voit A.

Les androïdes annoncent déjà via sa puce que les ennemis sont tout proche et que certains tentent déjà de passer leur blocus. Elle lève les yeux au ciel, toujours caché par ses lunettes, incendie déjà la terre entière dans sa tête ; il y a bien des endroits dans lesquels la fuite est propice, mais un magasin de cet acabit est une honte pour elle.

— Je t’offre une porte de sortie, prends-la tant qu’il est temps. Dis-moi, combien de temps penses-tu que cela prendra pour que quelqu’un de moins bien intentionné ne te jette aux loups ?

Les apparences sont parfois trompeuses, mais celle du petit protégé de la maquerelle ne trompe personne, non seulement il ne pas aussi inaperçu qu’il le voudrait, mais il n’est pas encore capable de se rendre compte que la solution la moins dangereuse, c’est de la suivre elle, avec les risques que cela implique. Alors comme à son habitude, il sort les griffes, pense faire aussi peur qu’un le plus féroce des félins, mais impressionne autant qu’un chaton que l’on vient de gronder. Là se distingue réellement la différence entre ses deux êtres, la force de persuasion, à quel point ils savent manipuler les choses à leur avantage.
Ça serait presque moins risible s’il ne se donnait pas l’air d’y croire lui-même, mais elle ne le prend pas pour elle, la peur fait faire des choses que l’on regrette plus tard, à commencer par mordre la main qui est là pour nous aider. Quoi qu’il en soit, le moment est venu où il se laisse tout de même aller à écouter l’offre qu’elle lui a faite, il fait mine de savoir comment elle se comporte, mais bien heureux est celui qui réussira à passer au travers des filets de la madone. Digne successeur de Lorenzo, elle ne manque pas une occasion de rendre sa proposition profitable pour tous, mais tout de même plus pour elle que pour lui.

— Oh tu sais, A. Il y a bien peu de choses que je ne peux m’offrir moi-même.

Elle roucoule, fait mine de lui faire entendre le chant du rossignol quand elle est plus proche du hurlement d’un loup, sans qu’il ne le sache, elle a déjà le pied appuyé sur la nuque de sa proie ; et elle ne compte bouger ce dernier seulement pour la lui briser.

— Je ne veux qu’une chose, mon grand: que tu reviennes à la maison. Elle marque une petite seconde d’arrêt en le voyant enfiler tous les articles du magasin un par un. Et par pitié lâche ces immondices, veux-tu.

Avant même de terminer sa phrase, l’Italienne fait valser le chapeau de paille qu’il vient de rajouter sur le sommet de son crâne.

— Tu ne pourrais pas plus crier au monde que tu tentes de te cacher et Halloween est bien loin.

La dame aux poisons n’aurait pas eu à s’inquiéter de son attirail si elle n’avait qu’à le protéger de quelques grouillots partis à sa recherche, mais l’indication que ses androïdes lui ont envoyée n’indique rien de bon. Apparemment, les plus dégourdis sont de sorties et même s’il ne s’agit que d’une éraflure pour les deux gardes du corps, cela sous-entend que la fuite sera plus désagréable qu’elle ne l’aurait voulu. Un léger soupire s’échappe de ses lèvres après qu’elle ait balayé la notification de son ATH.

— Temps écoulé, les gros méchants sont là. Saisi ta chance de garder ta vie. Peu importe si cela veut dire passer celle-ci entre les mains de la madone.

Malheureusement, nombreux sont ceux qui ont eu la même idée, qui viennent s'attaquer à cette proie aussi simple que savoureuse. Quelque part la madone comprend l'intérêt que l'on peut trouver à son petit protégé, car il n'est pas bien grand, montre les crocs dès que possible, mais surtout il ne perd pas espoir de s'en sortir, prend la première solution qui s'offre à lui ; la volonté de survivre est bien plus divertissante que n’importe quel spectacle.
Les choses vont vite, tout d’abord une simple alerte pour signifier que nous ne sommes pas seuls, maintenant une autre, plus violente. L’un des androïdes de la maquerelle vient de tomber hors service, le temps presse, la guerre est déclarée et les solutions d’évasion manquent. Il était peut-être stupide de la part d’Ambrose de s’imaginer qu’entrer dans un magasin sans réfléchir à une issue de secours, mais il l’est bien plus de la part de l’Italienne qui l’a suivi sans crier gare. Fini le temps des bavardages, il accepte la proposition, tente de faire porter sa voix – comme s’il était en position de négocier – ils sont adorables lorsqu’ils pensent avoir leur mot à dire, qu’ils font partie eux aussi des décisionnaires.
Elle n’a pas vraiment le temps de répondre à ses convictions, passe en revue les différents espaces couverts qui pourraient assurer une sécurité le temps de rattraper la sortie, mais elles sont bien peu nombreuses et il est impossible pour la maquerelle de savoir combien sont les opposants. Une main glisse jusqu’à la base de l’arme cachée dans son sac à main, l’autre se saisit un peu plus violemment du poignet du jeune homme, le tire sans aucune vergogne pour qu’il l’accompagne.

— Estime-toi déjà heureux si on sort d’ici en vie.

Un soupir las s’échappe des lèvres colorées de la jeune femme, depuis son ATH, elle vient tout juste de régler la note pour les achats – aussi stupides soient-ils – de son protégé ; il s’agit de ne pas se retrouver avec des poursuivants supplémentaires, sans quoi l’évasion n’aboutira jamais. Il n’y a qu’une issue viable, le second androïde délaisse la devanture, rejoint les arrières des deux fuyards. La mafieuse guette les alentours, prend la sortie en direction de l’énorme centre commercial, passe son bras autour des épaules de son cadet, embrasse le sommet de son crâne avec légèreté, lui glisse quelques mots à l’oreille.

— J’ai hâte de te revoir avec nous, ma puce.

De son autre main, l’Italienne attrape l’arme tendue par l’androïde, la place délicatement dans la main de son partenaire après s’être collée à lui pour cacher son geste au reste de la foule. Elle ne prend pas soin de lui rappeler qu’il n’a pas intérêt à retourner son arme contre elle, qu’il n’aurait aucune chance sinon ; elle sait qu’il ne laissera pas tomber sa seule véritable chance.

— J’espère que tu sais viser.

Ce qu’il y a de grisant dans ce genre de chasse à l’homme, ça n’est pas tant de pouvoir prouver au monde que nous n’exerçons que le rôle de prédateur, c’est surtout de voir à quel point hargne et instinct de survie représentent le propre de l’humain. Quiconque qui regardera le spectacle de D-VICE saura trouver plaisir dans la lutte cérébrale à laquelle est confrontée Ambrose, parce que la panique le prend de court, les idées fusent, mais très peu font sens. Peu de chances existent pour qu’il puisse survivre s’il n’avait pas été parrainé, pas sûr que cela soit suffisant, mais la madone est plutôt confiante sur les ressources qu’elle peut employer sur ses adversaires. Oh, bien sûr elle n’est pas équipée de quoi faire frire la liaison entre la puce et le cerveau de ses adversaires, mais le colosse de métal qui suit la jeune femme et son protégé n’est pas en reste quant aux défenses dont il a pu être équipé.
La dame n’a jamais été du genre à foncer dans le tas et mener bataille avec quiconque sans être certaine de savoir qui elle peut avoir en face et ça n’est pas aujourd’hui qu’elle va s’aventurer dans pareille situation. Le jeune homme fulmine, elle le sent sous ses doigts s’échapper, mais il n’est pas stupide, alors il se tient à carreau, c’est aussi pour cela qu’il est si nécessaire de le ramener sous son aile, parce qu’on ne construit pas une « loyauté » comme celle-là seulement sur la base d’affection ; elle sait qu’il se jette dans le creux de sa main et y restera tant que d’autres loups lui feront plus peur qu’elle. Elle n’est pas immonde avec ses sujets, apporte toit, nourriture et protection contre leurs services, la même valeur ajoutée qui se tient maintenant dans les mains du rescapé moitié clown, pour qu’il puisse se défendre si elle ne le peut pas.
Risquer sa vie de manière futile ne fait pas partie des intentions de l’Italienne, aussi elle n’hésitera pas à sauver sa peau en abandonnant sa proie si elle sent qu’il n’y a aucune autre option. Pourtant, même sous la pression et avec le manque de temps, elle a déjà anticipé les prochains coups qui devront être joués si elle ne veut pas perdre cette partie ; la garce est mauvaise perdante. Heureusement pour elle, Ambrose semble plus dégourdi qu’espéré, même s’il ne desserre pas les dents et envois toujours des pics à son seul espoir de sortir d’ici.

Une notification apparaît sur l’ATH de la maquerelle, l’androïde vient d’intercepter deux projectiles soporifiques qui leur étaient destinés. La marche se fait un peu plus rapide alors que la madone projette un traqueur, propulsé par l’androïde pour rejoindre la responsable de l’attaque. D’une main experte, elle attrape de nouveau le poignet du pourchassé.

— Pas un mot. Tu me suis et tu cours quand je te le dis.

Dans le flot de sa marche, elle délaisse les escarpins sur le sol, récupérés immédiatement par le colosse de titane.