#2022
L’histoire d’un vagabond rencontre une princesse, en tombe amoureux, et de leur union nait une étoile.
C’était l’histoire qui avait bercé la petite enfance d’Isaiah, et qui était, à quelques détails fantastiques près, la rencontre entre ses parents : un squatteur orphelin arpentant l’Europe en se cherchant une raison de vivre, et une jeune veuve fortunée à la tête d’un cabinet d’avocat florissant. Autant dire qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. Eux-mêmes l’admettaient; raison pour laquelle leur relation tourna court, laissant Isaiah au milieu. Son enfance ne fut pas difficile, cela dit, recevant de l’amour de ses deux parents, il ne dirait jamais qu’il n’avait pas de chance de ce côté-là.
Les ennuis financiers lui étant étrangers, sa mère s’assurant toujours qu’il ne manquait de rien, il grandit avec un accès illimité à toutes les distractions que le monde pouvait offrir. C’était ce qui avait fait de lui un garçon aussi curieux et agité, sûrement. Le changement d’environnement tous les quelques mois, la garde alternée le trainant de part et d’autre de l’Atlantique y contribuait également. Mais si changer d’école chaque année devait être un enfer administratif, lui le voyait toujours comme une occasion de se faire de nouveaux amis !
#2031
Le monde lui, s’en sortait moins bien. Avant ses dix ans, l’apocalypse approchait, d’après les infos affluants tout autour de lui. Un manque de ressources, une crise sans précédent, des milliers de vies en jeu; tant de mots compliqués qu’il ne pouvait encore saisir, mais qui l’emplissaient d’une peur difficile à décrire.
Les trajets inter-pays —inter-districts— devenue complexe et coûteuse, Isaiah se retrouvait bientôt bloqué à New-York avec son père. La séparation fut dure à vivre.
#2036
Les Androïdes. Cette création fascinante, encore nouvelle et pleine de merveilles, suscitant autant l’enthousiasme que la méfiance. La technologie avançait, mais pas au même rythme que les humains.
Et son père s’était épris de l’un d’eux.
Dans sa naïveté, il n’avait été que curieux et excité à la rencontre de Genesis, qui allait supposément rejoindre le ménage de la petite famille. A ses yeux d’enfant, c’était une personne douce, calme et attentive; parfait pour la tornade qu’était son père.
Il ne comprit pas alors, lorsqu’on commença à les insulter de tous les noms, et que son père fixait son portable avec un mélange de colère et d’inquiétude. Sa note chutait, vite. Et le conséquence de cela, Isaiah ne l’apprendrait que quelques années plus tard, mais il saisissait l’essentiel : il risquait de ne plus jamais revoir son père.
Cette idée le terrifiait.
Avant d’en arriver là, Genesis parvint à faire un minimum de damage control, et il fut décidé que pour son propre bien, Isaiah irait vivre seul, loin du couple, pour éviter toute répercussion négative sur sa propre note. Lumopolis fut choisie, où un chaperon garderait un oeil sur lui, mais où il aurait ultimement son propre appartement, son propre argent à gérer, et tout un bouleversement à traverser. Seul.
Il avait à peine quatorze ans.
#2039
L’aventure trapidante du lycée arrivait à sa fin pour Izzy. L’heure de dire àdieu à ses amis, et de se créer un nouveau cercle à l’université. C’était devenue une routine pour lui, mais ça ne rendit pas le passage plus facile à vivre.
Les trois ans qu’il venait de passer à Lumopolis avaient été les plus géographiquement stables de toute sa vie, mais les plus chaotiques émotionellement. Ce que ses camarades appelaient une “vie de rêve”, lui y associait la terreur et la solitude, soudain contraint de grandir plus vite qu’il ne l’aurait dû. Certes, avoir un appartement à lui seul était fun, personne ne lui disait quand aller dormir, et un androïde d’entretien passait tout nettoyer sans qu’il ait besoin de lever le petit doigt, mais cette liberté ne lui faisait pas forcément que du bien...
Avec la fac, cela dit, cette liberté s’envola bien rapidement. Bientôt enseveli sous le travail, il n’avait plus une minute à lui. Il s’était lancé dans des études de marketing, dans l’espoir de bientôt devenir réellement indépendant, la tâche s’avérait bien plus complexe qu’il ne l’avait prévu.
Au bout d’un an et demi, complètement asphyxié par la charge de travail, et le manque cruel de temps libre pour décompresser lui causèrent un burn-out sévère qui le cloua au lit pendant un mois. Un mois qu’il mit à profit pour prendre un décision.
Fini l’école de commerce, il allait se lancer dans l’art !
#2041
Lorsque son père lui avait présenté Genesis, il n’avait pas tant compris son discours sur l’amour, et la force que ce sentiment pouvait procurer. Et avec ce qui était arrivé juste après, il était coupable d’avoir pensé qu’il suffisait d’abandonner cet amour, et de survivre.
Là, il comprenait ce que son père voulait dire.
Il ne se souvenait pas de quelle classe il venait de rejoindre lorsqu’il le vit, ni des premiers mots qu’ils échangèrent, du temps qu’il faisait, ou de quel jour c’était. Il se souvenait de sa respiration coupée, du bourdonnement dans ses oreilles, et du sourire qui lui était adressé.
Il s’était senti capable de mourir mille morts pour pouvoir passer une minute de plus en sa présence.
Il se souvenait aussi de son nom.
Ever.
#2044
Ils s’étaient fabriqué une petite réputation à la fac en tant que “couple le plus inventif de Lumopolis”. C’était sûrement faux, mais ils avaient une médaille en toc qui le prouvait; ça comptait comme une preuve irréfutable.
Ever était un ange; il n’avait jamais eu les mots pour le décrire correctement, mais il n’était pas doué avec les mots, alors il préférait capturer toutes ses facettes en photo. Des shots qui s’améliorait de jour en jour, même si ses profs râlaient en voyant la moitié de ses clichés ne concernaient que son petit-ami.
C’était presque comme si sa vie était parfaite. Comme si le temps s’était courbé un moment pour le laisser profiter. Et profiter il le faisait, à fond les ballons. Il profitait de sa nouvelle vocation pour les Arts Visuels, de sa toute nouvelle chaine youtube qui commençait doucement à récolter des vues, du retour triomphant de son père, maintenant que les androïdes étaient mieux intégrés, et, évidemment, de la présence inconditionnelle de son cher et tendre.
Et il faisait bien de profiter, parce que bientôt il n’en aurait plus l’occasion.
Sa vie parfaite avait fait des envieux, ce qui était parfaitement logique, mais certains avaient décidé que gossiper dans son dos à la cafétéria n’était plus suffisant, et qu’il fallait ruiner sa vie jusqu’à le faire disparaitre.
Une rumeur. Une simple rumeur stupide, lancée pendant la nuit, et plus personne n’osait le regarder dans les yeux le lendemain. Malgré ses tentatives, toutes ses interactions étaient gênées au mieux. Une boule commençait à lui peser dans l’estomac; ce n’était que le début.
Il connaissait bien la mentalité d’internet : la réputation tient à un pile ou face. Tout le monde évitait à tout prix d’avoir à lancer la pièce, en évitant d’attirer l’attention, ou en veillant à se montrer sous leur meilleur jour et ne rien laisser filtrer. Mais à la moindre erreur, une fois la pièce en l’air, leur vie entière dépendait de ce simple résultat.
Le public allait-il leur tendre une corde pour remonter, ou les enterrer plus profondément ?
Il avait foi en sa communauté, en ses amis, en cette ville qui l’avait accueillit et qui lui servait aujourd’hui de foyer. Il n’aurait pas dû. Du café qu’il avait renversé sur quelqu’un au réfectoire, au binôme qu’il avait ghosté pendant une après-midi, aux professeurs à qui il avait demandé une révision de son devoir. Tout était déformé, aggravé, pour faire de lui un monstre méritant la guillotine.
Sa note dégringolait, aussi vite qu’une pierre coulait jusqu’au fond de l’océan.
La panique le gagnait alors que chaque jour, ses chances de rédemption s’amenuisaient exponentiellement. Ses tentatives d’excuses étaient disséquées comme le reste, ajoutant de l’huile sur le feu. Une fois qu’on avait ressorti tous ses travers, tiré sur toutes ses coutures, il ne s’en remettrait pas.
Ses parents essayaient de le joindre, affolés, mais il refusait de leur répondre, au risque de les traîner dans la boue avec lui. Il avait même éloigné Ever, malgré son insistance.
Si c’était ses derniers jours avant d’être exilé, il voulait qu’Ever garde le vrai lui en mémoire, pas la loque de terreur qu’il était devenu.
Bientôt il ne vit plus d’utilité à quitter son appartement, et se résigna à attendre, les yeux rivés sur sa note.
Alors qu’il s’était déconnecté de toutes les plateformes joignables, le bruit des notifications le propulsant en hyperventilation, un simple mail popa sur son écran, vers deux heures du matin, avec une pièce jointe : ‘Plaidoyer’.
A l’intérieur, une série de points, comme dans une vidéo-essai, prouvant un à un son innocence face à toutes les accusations qu’il avait pu recevoir.
『 Je ne voulais pas rendre ce document public, j’aurai préféré gérer ça avec discrètion auprès des concernés, mais malgré plusieurs tentatives infructueuses de résonner @for_ever, et @takeit_izzy ayant désactivé ses comptes, je n’ai pas d’autre choix.
Voici comment Ever Olsson s’est servi d’Isaiah Ebott comme pantin médiatique et poule aux oeufs d’or. 』
Halluciné, il parcourut le document de vingt-et-une pages illustrées, expliquant comment son petit-ami était le diable incarné et que lui n’était qu’une victime naïve et manipulée. Il ne put tout lire, ni tout voir, certaines des images frôlant l’explicite, pour soi-disant illustrer les tromperies qu’il avait dû subir de la part de cet énergumène.
C'était... Non, impossible. C’était un ramassis de conneries; mais c’était
crédible. Assez pour complètement renverser l’opinion qu’on pouvait avoir de lui, ne se contentant pas de l’innocenter mais aussi de pointer un plus gros ennemi du doigt.
Ever.
Si ces chances de s’en sortir avaient été infimes, si ce document venait à être publié, Ever n’aurait que quelques jours, en étant optimiste.
La respiration coupée, les oreilles bourdonnantes, il se reconnecta, tremblant, priant tous les dieux qu’Ever avait tenté de le contacter, qu’il attendait son avis, qu’il n’avait pas encore publié...
Le document était partout. Tout son cercle éloigné le bombardaient de messages pour s’excuser de la façon immonde dont ils s’étaient comportés avec lui. Mais il les ignora et ouvrit une seule conversation.
Un pitoyable petit bruit étranglé lui échappa en voyant le flot de messages inquiets, paniqués, rassurants, colériques; suivis d’un silence radio. Puis une pièce jointe.
Sans même l’ouvrir, il tapa violemment sur l’icône d’appel et porta l’appareil à son oreille. On décrocha au milieu de la première sonnerie.
« Ever— »« Te rates pas cette fois. » Un battement de silence, où il ne sût quoi répondre, figé.
« T’as un grand avenir devant toi Izzy. Tes photos sont magnifiques, t’as assez de passion pour illuminer tout Lumopolis. T’es une étoile qui brille plus fort que le soleil, Isaiah. T’as une deuxième chance de tout changer, alors la gâches pas, okay ? »« Muh...Que...Et toi ?! »Il put entendre le sourire à l’autre bout du fil,
« T’en fais pas pour moi, j’m’en sortirai. J’t’ai envoyé un fichier avec tout ce qu’il faut pour faire une vidéo convaiquante qui corroborera tout, ça te lavera des derniers soupçons. »« Non ! Je veux pas que tu t’sacrifie pour moi ! » Sa voix, enrouée de larmes, avait du mal à articuler, mais il ne pouvait pas le laisser faire ! Il ne devait pas !
« Je l’ai fais en connaissance de cause. Et, si ça peut aider, j’aurai plongé quand même dans un an ou deux; t’y es pour rien. » Quoi ? ...
Quoi ? « Ah, et : j’t’interdis de rester bloqué sur moi. Vis ta vie, tombe amoureux, tout ça. Je veux pas te hanter comme un mauvais souvenir, okay ? »Aucune réponse. Il lui était impossible de formuler une pensée cohérente, autre que “non”. Son monde était secoué, alors qu’il sentait un des piliers s’effondrer. Qu’est-ce qu’il allait faire sans Ever ?!
L’appel se termina, et @for_ever se désactiva définitivement, ainsi que le compte burner qui avait servi à partager le document.
Isaiah resta au lit à pleurer toutes les larmes de son corps, ses sanglots plus forts que le bruit du vieux métal qui crisse.
#2045
Après cette histoire, Isaiah finit par trouver la force de filmer la fameuse vidéo, bien qu’il craqua dans les cinq premières minutes. Il avait appris son texte par cœur et n’en dévia pas. Personne, ou du moins l’écrasante majorité ne trouva rien à y redire, les mêmes personnes ayant activement participé à sa chute le prenant soudainement en pitié.
Si quelqu’un l’eut remarqué, personne ne prêta attention au compte burner. Personne ne souligna le timing presque parfait, et l’absence totale d’antécédent à ce tissu de mensonges. Personne ne vérifia si les images et screenshots accablants étaient photoshopés.
Ever avait toujours été un génie du photoshop.
Ses parents furent très présents durant sa ‘convalescence’, en ligne à défaut de pouvoir se déplacer jusqu’à lui. Il pensa même à consulter un psy, mais décida qu’il n’était pas dans le bon état d’esprit pour entreprendre une telle démarche.
Il lui fallut du temps pour pardonner à certains de ses amis, et pour reprendre confiance dans ses interaction avec les gens en général. Mais il devait continuer de vivre, alors il respira un bon coup, remonta les épaules, et plongea.
#2047
Il remercia le corps enseignant, alors qu’on lui remettait son diplôme en main : un triomphant mention très bien en Arts Visuels, avec lequel il espérait pouvoir se lancer professionnellement dans la photographie.
@takeit_izzy avait maintenant un follow dont il n’était pas peu fier, bien qu’il visait plus haut. Son contenu lifestyle délirant tout en restant bon-enfant donnait le sourire à de nombreux fans, et devenait même une source de réconfort pour certains. Il espérait pouvoir se servir de cette énergie pour atteindre encore plus de monde, briller le plus fort possible.
Ça ne faisait que commencer !