Il était encore tôt. Les rues de Lumopolis étant assez calmes, une sensation d'apaisement et de flottement se faisait sentir dans l'air. Cette ville toujours si agitée, comme courant perpétuellement après quelque chose d'insaisissable, semble avoir enfin pris une pause. Clyde aimait ce genre d'ambiance et il n'était pas rare de le voir se balader dans la ville au petit matin. Que ce soit après une longue nuit de travail de surveillance, un énième cauchemar ou avoir quitté un de ses amants en lui laissant de quoi acheter un bon petit déjeuner.

Mais aujourd'hui c'est légèrement différent. Quelqu'un qui connaîtrait très bien Clyde -c'est à dire personne dans cette ville, pourrait percevoir cette différence. La différence ? Son sourire sincère. Il semble être vraiment ravi de se promener si tôt, ses cheveux parsemés d'argent s'agitant sous la brise matinale, le sourire aux lèvres, son costume parfaitement ajusté sur son corps qui accuse bien des années mais qui se porte encore très bien. Dans sa main droite, il tient une énième cigarette qu'il porte par moment à ses lèvres et de l'autre, un grand sac en cuir brun qui le suit depuis ses années à l'armée. Dans ce sac, Clyde y a rangé quelques livres et quelques éléments comme son carnet de note pour son travail de psychiatre ainsi que de quoi manger. Mais où se rend-t-il avec tout cela ?

Tout a commencé plutôt récemment. Un nouveau player lui a été signalé et, utilisant sa capacité à fouiller dans le système -ce que c’est pratique, il s'est renseigné comme à son habitude lorsqu'un player ou un prisonnier rejoint D-VICE. Après tout, cela fait aussi partie de ses attributions. Un certain Isaiah Ebott, 25 ans, ancien étudiant en Arts Visuels. Des notes plus qu’excellentes, un diplôme obtenu avec les honneurs, une réputation honorable et même une petite carrière de vidéaste en parallèle de son travail de photographe. Rien ne semble vraiment hors norme si ce n'est une affaire qui remonte à quelques années en arrière. Quelque chose d'ailleurs avait attiré l'attention de Clyde pendant sa recherche; toute cette histoire semble... Trop parfaite ? Avec son vécu, s'il y a bien quelque chose qu'il sait c'est que tout, absolument tout laisse des traces. Tout peut être retrouvé lorsque l'on cherche bien et, surtout, il est peut-être facile de dissimuler mais bien plus difficile d'effacer. Et son instinct lui souffle qu’il manque quelque chose d'essentiel pour comprendre cette affaire. Mais hormis cela, Isaiah ne semble pas être une menace ou même quelqu'un à surveiller activement. Un player finalement assez “banal” selon les standards de D-VICE.

Mais la curiosité de Clyde a été piqué. Alors il veut garder un œil sur Isaiah, au moins le temps de comprendre ce qui semble être bien dissimulé -voire effacé. Et puis ça tombe très bien : Isaiah est photographe. Clyde envisage depuis déjà un moment de refaire quelques photos professionnelles pour son site et ses réseaux sociaux; après tout ce n’est pas parce que son travail de chef de la sécurité grignote une bonne partie de son emploi du temps qu’il doit négliger son “autre” travail. Et quelle meilleure excuse pour pouvoir en savoir plus sur ce jeune homme ! Il a donc contacté Isaiah via Showlight, lui expliquant son projet et pour lui demander ses tarifs. La conversation a été fluide, calme et très professionnelle; ce qui n'est pas pour lui déplaire. Et bien que la photographie n’est pas son point fort, il reconnaissait un certain talent chez Isaiah. Au moins, ses photos lui font ressentir un peu plus qu’un simple hochement de tête.

Le voilà donc dans l’espace vert de Lumopolis, près des parcs. Il avait demandé à Isaiah quelque chose qui fasse “rassurant, naturel et accueillant”. Le choix de faire les photos près de la rare Nature que Lumopolis a laissé en paix a donc été imposé à Clyde par le jeune photographe. Les objets ? C’était pour tester des ambiances apparemment, quoique cela veuille dire. Peut-être l’équivalent en photographie des bougies près du lit lors d’une soirée un peu intime ? Allez savoir. Il arrive donc près d’un des parcs, puis se pose sur un banc en attendant que le jeune homme arrive. Juste le temps pour lui d’écraser sa cigarette, ranger proprement le mégot dans une petite boîte en fer … Et d’en ressortir une. Tout en fumant, il penche la tête légèrement en arrière, regardant le ciel à travers les feuilles de l’arbre qui le domine, savourant la douceur de la Nature bien trop rare, avant d’entendre le bruit de pas se dirigeant vers lui.

Clyde entend les pas qui se rapprochent mais étrangement, il se sent un peu trop bien pour avoir envie de bouger tout de suite. Il prend le temps d’une inspiration calme, lente, avant de légèrement tourner son regard vers la personne qui s’approche. Il reconnaît sans mal Isaiah puisqu’il avait déjà vu quelques photos du jeune homme sur son Showlight. Et comme sur les photos, il avait ce visage de l’adulte qui réussissait à être émerveillé et qui semblait réussir à marcher main dans la main avec son âme d’enfant. Quelque chose que Clyde n’a pas connu longtemps, voire peut-être jamais. Difficile à dire car après tout, les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés.

Clyde se relève doucement, s’asseyant bien droit sur le banc et se tournant légèrement vers Isaiah. Il évalue s’il faut qu’il se lève maintenant ou dans quelques secondes. Son regard est fixé sur lui, observant le moindre petit geste de la part de son interlocuteur : une très mauvaise habitude qu’il a acquis avec son boulot. Cela avait quand même un avantage puisqu’il peut capturer assez facilement et rapidement des petits éléments qui constituent la personne. Et pour le moment, il le trouve au moins intéressant ; ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le jeune homme. Clyde remarque que, entre autres, le jeune photographe tient déjà entre ses mains un appareil photo comme prêt à se mettre à la tâche. Ou bien quelque chose a-t-il échappé à Clyde ? L’idée ne lui déplaît pas et le fait sourire en même temps.

“Bonjour ! Isaiah Ebott.”

Clyde sourit. Stressé, donc. C’est normal, pense-t-il, après tout Isaiah ne semble pas avoir eu un panel de clients très large et différents. Ça amuse Clyde, qui a cette fâcheuse tendance à trouver les gens encore plus amusants et intéressants lorsqu’ils sont soumis au stress, la panique ou l’anxiété. De sa voix calme et profonde, toujours le sourire aux lèvres, il se redresse et tend la main vers Isaiah en signe d’ouverture


Simple, concis. Il n’est pas dans son rôle de psy ni vraiment dans son rôle de chef de la surveillance, il peut donc être un petit peu plus lui-même. Juste un peu, suffisamment pour installer un sentiment de confiance mais pas assez pour montrer qui il est réellement.

“J’espère que vous m’avez pas attendu longtemps.


Son sourire ne le quitte plus. La situation semble beaucoup l’amuser ; extérieurement il donne simplement l’impression d’être très poli et chaleureux.


Petit rire.

“On commence, si ça vous va ? Avant que la lumière ne change. Ça serait dommage, elle est parfaite !”

Il hoche la tête calmement. Il prend son sac et le montre à Isaiah avant de le reposer au sol à côté de ses jambes


De nouveau son petit rire. Cette fois-ci parce qu’il se fait rire soi-même avec ses mensonges ; comme s’il était capable de faire confiance à qui que ce soit.

“Uh, okay ! Ça me va. J'vais essayer !”  

Clyde voit Isaiah le fixer avant de se recomposer un peu. Ça lui tire un petit sourire en coin. Il faut croire qu’il n’a pas encore trop perdu la main et qu’il sait déstabiliser les gens. Ça l’amuse et ça lui donne envie d’en abuser un peu. Mais il se ravise ; les photos d’abords non ? Tu l’observes, attendant sagement ses indications. La passion semble avoir repris le dessus, vu le feu qui anime son regard.  

“On peut déjà commencer ici ! Tu peux te rasseoir dans une position confortable; et v- t'as ramené le livre ? Parfait ! Fais semblant de lire; ou lis vraiment, comme tu sens.  


Clyde prend le livre présent dans son sac et s’approche du banc. Il s’assoit rapidement mais avec une certaine élégance et croise légèrement les jambes, son bras gauche accoudé au dos du banc qui tient légèrement sa tête, tout en tenant le livre avec sa main droite. C’est une position assez confortable pour lui, très similaire à comment il lit chez lui sur son canapé : mais généralement il accompagne ses sessions lecture d’un bon verre et d’une cigarette. Il regarde légèrement en biais Isaiah qui semble très occupé à trouver le bon angle. Avec un sourire en coin face à cette vision, il redirige ses yeux vers le livre et commence à le lire pour de vrai. C’est plus simple que d’essayer de donner l’illusion, surtout qu’il a choisis un de ses livres préféré : La maison des feuilles de Z. Danielewksi.  

Il aime presque plus observer la construction du livre que de le lire, ce qui est le but de ce dernier au final. L’absurdité de la mise en forme, les phrases cassés, cachés, arrachés. Il trouve ce livre à la fois réconfortant mais aussi assez effrayant. C’est comme ça qu’il trouve son confort ; ce qui est angoissant et terrifiant pour certain.e.s peut être un vrai havre de paix pour d’autre. Et puis, il doit le reconnaître, c’est aussi un très beau livre. Perdu dans une page, il en aurait presque oublié la présence d’Isaiah si ce n’est pour le bruit caractéristique de l’objectif en pleine action qui le ramène un peu à la réalité.  

“Excellent le choix du costume. Ça te rajeunit de ouf.”  

Clyde lève un sourcil, amusé par ce choix de mot.  

“Ah— j'veux dire— c'est pas pour dire que t'as l'ait vieux ! Ah merde...”  

Il n’arrive à retenir un rire. Un rire très franc, naturel et sincère. C’est rare qu’il puisse rire aussi facilement et aussi franchement … Mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été confronté à quelqu’un d’aussi … Jeune et naïf ? Non, plutôt jeune et candide. Il ne se moque en rien d’Isaiah -ça irait contre son objectif, non il trouve ça réellement très drôle. C’est vrai qu’il ne va pas en rajeunissant mais on lui fait rarement remarquer ; sauf quand c’est ce que ses amants recherchent diront-nous.  


De nouveau un léger sourire. Cette matinée s’annonce vraiment très intéressante.  

“Tu veux bien regarder vers moi... ?”  

Il s’exécute, tournant le regard et légèrement son corps vers Isaiah. Le livre posé contre ses jambes mais toujours dans sa main, il se met à fixer directement les yeux du jeune homme, l’air impassible qui se veut très professionnel mais au fond, il s’amuse beaucoup.