Pendant l'entièreté de l'activité, mon partenaire s'est laissé faire, j'ai pu apercevoir sa mâchoire se détendre un peu. Finalement plus qu'un moyen de nous faire discrets, il s'agissait aussi d'un bon moyen de le calmer un peu, faire descendre les tensions qui se sont installées depuis notre arrivée. Il ne me faut pas longtemps pour terminer mon travail, la base de son visage ne demandant pas beaucoup d'effort pour le faire sortir de sa chrysalide. Son reflet semble lui plaire et je dois dire que je ne suis pas peu fière, je serais presque jalouse de lui, ça lui va si bien. Un joli minois qui ne saurait être reconnu par les forces de l'ordre, mais qui, j'en suis certaine, réussirait à faire tomber raide n'importe qui.
À vrai dire, je n’ai aucune idée de l’âge qu’il peut bien avoir, mais il serait passé inaperçu dans une sortie extrascolaire, peut-être que nous aurions pu devenir amis comme ça. J’aurais pu lui demander plus tôt, après tout, nous ne semblons pas avoir plus que quelques années d’écart. Oui, on aurait pu être camarade d’école, plutôt que partenaire d’un crime que je n’ai pas commis. J’aurais aimé le rencontrer dans d’autres circonstances, certaines qui ne mettraient pas sa vie en jeu chaque jour qui passe, parce qu’il semble avoir bon fond, il n’est poussé au vice uniquement par le jeu qui souhaite se divertir en le voyant s’acharner pour survivre.
Ce n’est pas comme Helios, je ne le regarde pas se détruire la vie tous les jours pour vérifier qu’il est encore en bonne santé, après tout, aujourd’hui est une des rares fois où je suis tombé sur sa notification et que j’ai été vérifié ce dont il s’agissait. J’aurais pu éviter complètement le coche, il se serait probablement fait prendre, personne n'aurait tenté de lui faire conserver l’espoir de s’en sortir un jour ; D-VICE aurait gagné.

Je finis par récupérer le miroir de poche que je lui avais prêté, après qu’il eut l'occasion d’admirer son reflet quelques instants, son compliment me va droit au cœur et je suis heureuse de l’entendre dire qu’il n’a jamais été aussi soigné. Il est élégant, bien plus que lorsqu’il a commencé à montrer les crocs au début de notre rencontre, mais avec toujours la même détermination dans le regard lorsqu’il pose la main sur la poignée de porte. Il me demande si je me sens prête à sortir de notre zone de confort, de quitter le cocon qui nous aura permis de disparaître aux yeux et à la barbe de nos poursuivants.
Après un hochement de tête assuré, je lui emboîte le pas, le froid n’oublie pas de nous rappeler sa présence dès que nous sommes à l’extérieur. Évidemment, le temps que nous avons passé ici a suffi pour que la ruelle soit déserte et personne ne semble encore à la recherche de A. Plus personne ne pense réellement à nous retrouver, ils doivent penser que nous nous sommes évaporés, forcés de constater que nous n’avons laissé aucune trace de notre passage.

— Il n’y a personne, mais ça ne veut pas dire qu’on est sorti d’affaire.

On continue notre chemin, sort de la ruelle du coin opposé à celui par lequel il est arrivé plus tôt, espérant ne pas tomber sur l’une de ses victimes. Je suis confiante dans l’idée qu’il passe inaperçu, mais ça me tracasse tout de même un peu. Via mon téléphone, je commande un taxi autonome qui ne met pas longtemps à arriver et qui nous éloignera de tout ça. Je grimpe en première, invite mon partenaire à me suivre et une fois que nous sommes installés, je lance une direction un peu au hasard.

— Pour le moment, on s’éloigne de la scène de crime et tu me diras où je te dépose, ça te va ? Petit clin d’œil complice. On s’en est sorti, ça y est.

La peur au cœur, A et moi avançons dans le flou, incapables d’être certains qu’on ne se fera pas attraper, mais il faut que l’on garde notre calme. Je tente de paraître le plus naturelle possible, mon partenaire semble m’imiter, mais – bien plus inquiet – il est incapable de s’empêcher d’observer les alentours. Heureusement personne ne nous remarque et très tôt le taxi arrive pour nous emporter loin de là. Main dans la main, nous avons enfin réussi à nous échapper, A est exempt de tout problème pour le moment, jusqu’à un autre moment d’égarement à cause d’un défi idiot. Je ne pourrais pas être là à chaque fois qu’il en aura besoin, mais je mets un point d’honneur à suivre ses lives et à l’aider au possible.
À vrai dire, la voiture qui nous a recueillis n’était pas bien loin de l’endroit où tout est arrivé, mais vu l’heure qu’indique mon ATH, personne ne fera le lien entre les deux événements. Je me laisse tomber complètement contre le dossier du siège, soulagée qu’enfin tout ça soit fini. Bien sûr, nous ne serons jamais vraiment certains que personne ne viendra toquer à notre porte un jour, mais au moins il aura le droit à un peu de répit en attendant. Mon compagnon semble déboussolé, comme s’il s’attendait sincèrement à ce que la fin de notre aventure se termine autrement, heureusement pour nous, on a réussi à s’échapper.

Mes mains triturent le collier qui pend maintenant à mon cou, au creux de ma poitrine. Je ne sais pas si c’est un signe, mais j’ose espérer que cela prouve que je peux être capable de sauver Helios à son tour. Peut-être différemment, parce qu’il n’est pas fait des mêmes maux et que pour l’avoir déjà observé, ses watchers ne sont pas aussi doux qu’avec A. Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait ni combien de malades viennent polluer les défis des prisoners, mais il faut que ça cesse.
Il n’y croit pas, lui non plus, se tâte le visage pour s’assurer que tout est bien vrai, mais finalement il se détend lui aussi. C’est bon, tout va bien maintenant, nous sommes en sécurité. Je lui explique où nous allons, lui précise que je le déposerais là où il le voudra. Il m’indique le parc d’attractions et même si ça m’étonne un peu, ça n’est pas complètement illogique, là-bas il se fondra dans la masse et je suis certaine qu’il ravira les yeux de quelques personnes dans l’audience par la même occasion.

Le trajet se déroule sans difficulté et nous arrivons à deux rues à peine de l’endroit qu’il m’a indiqué. Je le laisse sortir de la voiture, lui fait un grand sourire et après avoir retenu sa main quelques secondes, lui fait une requête pour échanger nos numéros.

— Promets-moi de prendre soin de toi.