Manger le bitume ça fait partie du jeu. C’était une soirée calme au début, le brun l’a passé à profiter des plaisirs que la ville a à lui offrir ; drogues, sexe, alcool et adrénaline, que demander de plus ? Alors quand la nuit a commencé à pointer le bout de son nez, ne souhaitant pas rentrer de sitôt, il s’est réfugié dans un des bars de la ville, l’un des rares où il n’a pas encore eu d’histoires. Avec une gueule d’ange pareil et l’arrogance dont il fait preuve, il n’est pas rare qu’un bougre se sente pousser des ailes – rempli d’envie de prouver quelque chose – mais ils ne font jamais long feu. Oui, il s’est déjà mangé de vilains coups, a perdu quelques batailles, comme n’importe qui, mais n’a jamais perdu à l’esprit que la taille de son adversaire n’est pas une variable à prendre en compte.
La peur entraîne les erreurs, frapper au même endroit, qu’importe son gabarit, son expérience ; un coup bien placé fera mouche, même aux plus solides. C’est ce qu’en avait retenu le booker de match pour le fight club dans lequel le Britannique participe : il ne dit jamais non, grince des dents, mais se relève toujours. Il ne se pense pas arrogant, parce que ça sous-entendrait ne pas savoir assumer ses actes, pourtant dans la victoire comme dans la défaite, il ne fléchit pas.

Bref, ça aurait pu être tout beau tout rose, tout le monde qui trinque dans la joie et dans la bonne humeur en noyant leurs âmes avec le plus sacré des bourbons. Non, ça n’est jamais aussi simple, même quand il ne ramène pas les histoires, elles s’amènent à lui. Accoudé au bar, un verre de sky à la main, il les a entendues commencer à piailler et très vite à être physiques. Ça n’a pas manqué de faire sourire le brun, quand il a vu la chevelure grisonnante de sa camarade de combat. Qui que ça soit, il va passer un mauvais quart d’heure, il en est certain. Très tôt il se fait sortir dehors par la principale intéressée, Léo aurait pu s’en moquer, n’a pour ainsi dire toujours aucune empathie pour la victime du bourreau, mais il imagine bêtement qu’elle pourrait détruire le pare-brise de la Golf. On ne sait jamais.
Ni une ni deux le verre est enquillé et déposé sur le comptoir. Il gronde doucement en se relevant, sort à son tour dans la ruelle pour rejoindre les deux combattants clandestins. Elle l’enchaîne, lui met de violents coups, mais il semble toujours bien encaisser, si bien que c’en est presque étonnant. Ça le gave de voir un tabassage qui ne se passe même pas tant dans les règles de l’art, alors il décide de s’en mêler, prends quelques pas d’élan pour envoyer le grouillot dans les fraises. Pas si résistant que ça, elle devait la jouer cool.

— Toujours pas capable de gérer ton adversaire rapidement. Petit clin d’œil amical et grand sourire affiché sur ses lèvres. Ou alors t’attends de voir combien de rounds ils tiennent, je sais pas trop.

Ça l’amuse, parce que ce n’est pas la première fois qu’il voit ce genre de comportements et dans ses souvenirs, elle cogne bien plus dur que ce qu’elle a mis à ce pauvre type qui ne se relèvera pas avant un moment.

— Je voulais m’assurer que tu t’emportes pas sur ma caisse en voulant rayer son visage, tu m’en voudras pas.

L’albâtre reconnaît immédiatement le sourire étincelant du brun qui n’a pas manqué de terminer l’adversaire de fortune qu’elle avait trouvé pour la soirée. Léo la connait assez pour savoir ce dont elle est capable, donc quand elle rigole et lui dit qu’ils ne font pas le poids ; il ne le sait que trop bien, se souvient encore des quatre abrutis qui pensaient être de taille contre lui tout seul. Le parking du nightclub s’en souvient encore. Il l’aime bien Quietus, elle est un peu déjantée, ne sait jamais quand s’arrêter, mais c’est ce qui fait son âme. Tant qu’on ne l’emmerde pas, elle n’est pas trop méchante, même quand elle a quatre grammes par bras, le Britannique le sait, s’en contente très bien.
Évidemment il la suit quand elle l’entraîne à l’intérieur du bar pour retourner commander et terminer cette soirée en beauté, finalement peut-être que ça va bien se finir cette histoire. Il lui explique pourquoi il est venu jouer des poings avec elle, la grise lui montre les clés de sa propre voiture, explique pourquoi elle s’est attaquée à un si petit bout de viande. Pas besoin de beaucoup plus d’informations pour s’en rendre compte : elle a un coup dans le nez, mais n’est pas prête à s’arrêter. Elle commande pour deux, ne demande pas son reste, récupère sa boisson étrange à côté du whisky du brun. Comme d’habitude, elle est taquine, il la préfère comme ça que dans les moments où elle veut détruire quelqu’un, parce qu’il a déjà pu la voir en action et a été stupéfait. Elle donne l’impression d’aimer ça, lui ne sait jamais battu que par nécessité, enfin c’est ce qu’il aime à se dire.

— Un rencard, ouais. Elle est là. D’une gorgée il vide le verre qui se trouve devant lui. Mince, partie si vite.

Il sourit finalement en observant sa collègue, fier de sa connerie. Elle devrait pourtant être au courant, qu’il ne risque pas de fréquenter quelqu’un de manière régulière, donc quel intérêt pourrait-il y avoir à donner rendez-vous à quelqu’un. Ouais, c’est stupide, une perte de temps que le brun n’a pas envie de prendre. Le Britannique a toujours pris soin de ne pas revoir les personnes avec qui il a pu flirter d’un peu trop près, même s’il en garde généralement de bons souvenirs, il ne veut pas les répéter, ça voudrait dire risquer de s’attacher. Un peu comme avec la rose, même si ça n’est pas la même chose. Il commande un énième verre.

— Et toi, t’es juste venu te mettre une mine et taper sur le premier abruti qui te fait une réflexion ? Il fait mine d’applaudir. Bravo l’exemple ! Et tu veux me terminer avec ça ? Lève-toi de bonne heure beauté.

Avec un prénom comme le sien, on s’attendrait à ce qu’elle soit silencieuse, pourtant elle ferme jamais sa gamelle. Léo la connaît bien depuis le temps, a déjà eu l’occasion de partager une cage avec elle, le genre qui invoque de mauvaises raisons de se mettre sur la gueule. Elle n’est pas méchante, un peu grande gueule et sanguine parfois, mais de manière générale ils s’entendent plutôt bien avec le brun. Dans le fond, il préfère ce genre de caractère, celui qui ne se couvrira pas sous dix mille excuses pour éviter de dire la vérité. Il sourit doucement quand elle lui explique pourquoi elle préfère s’attaquer à un pauvre idiot, plutôt que de taper dans un sac de frappes. Il ne peut que la comprendre, avec une force pareille, on s’ennuie vite. L’habitude de mettre des coups a probablement son rôle à jouer là-dedans, mais le brun ne s’en inquiète pas, reporte son attention sur sa comparse qui commande de nouveau pour deux, sur le barman qui fait la gueule quand il nous sert. T’inquiète pas bonhomme, y aura pas plus de grabuges ce soir, Léo en fait le serment.
Comme d’habitude, elle pose trop de questions, prend la forme d’un détective privé un peu trop bavard et pas assez subtil. Elle est déjà bien amochée par l’alcool donc il ne lui en tient pas vraiment rigueur, il n’est même pas certain qu’elle puisse se souvenir de quoi que ce soit de cette conversation le lendemain. Il reste plus silencieux qu’à son habitude, parce qu’elle fait du bruit pour deux, qu’il s’intéresse plus à sa boisson qu’à l’interrogatoire par lequel elle le fait passer. Il se bat toujours, faut bien payer les factures, n’a personne à qui donner de l’amour, pas le temps ni la volonté de passer par-là. Elle parle de faire une course, mais elle rigole avant qu’il ne puisse répondre.

— Tu sais aussi bien que moi ta Lotus va passer tout son temps derrière mon pare-chocs. Il sourit brièvement, entame son verre sans grande conviction, alors qu’elle enchaîne sans mal les siens. J’ai pas été à un rassemblement depuis quelques jours, la dernière fois n’a pas été glorieuse.

Il ne parle pas d’une course qu’il aurait pu perdre, non. Les poings toujours légèrement tuméfiés par les coups assénés à Weasley une semaine plus tôt. Il ne pourrait pas dire qu’il regrette, parce qu’il aurait recommencé sans aucune hésitation, avec aussi peu de retenue que la manière dont il a martelé son adversaire ; parce qu’il le méritait. Le brun n’a aucune idée de si l’autre idiot aura retenu la leçon malgré le visage façon Picasso qu’il a offert au rouquin, mais il ne manquera pas de le rappeler à l’ordre s’il apprend que la première fois ne l’a pas calmé.
Sa partenaire de beuverie semble sincèrement intéressée par ce qu’il peut avoir à dire, trop même, probablement autant qu’elle est éméchée. Elle tangue, alors qu’elle est assise, il ne peut pas en dire autant, a toujours eu une tolérance hallucinante à la boisson. L’enquête n’est pas terminée, plus aucune retenue sur la manière dont elle demande les choses, fait référence à leurs rencontres précédentes dans une cage. C’est vrai, cette fois ils ne sont pas en guerre, autant en profiter. Le Britannique n’a jamais vraiment pris la peine de s’intéresser plus que ça à sa camarade, parce qu’il ne fait pas dans le social, qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de partager un verre comme aujourd’hui, ça serait peut-être l’occasion, quoi que ?

— Y a pas grand-chose à raconter. Pas grand-chose d’intéressant, en tout cas. Il soupire doucement, lève les yeux au ciel en enquillant sans aucune vergogne le reste de son verre. Ceci dit, je me plains pas de pas me retrouver en face de tes poings, pour une fois.

Parler dans ce genre de situation, ça ne l’intéresse pas, parce qu’elle la joue toujours plus interrogatoire que véritable conversation en tant que telle. Dialoguer c’est beau, répondre à des questions purement visées pour jouer la commère, ça l’emmerde. Déballer sa vie, ça ne le dérange pas en tant normal, mais les flics ont les mêmes méthodes, ça ne marche pas, ça n’a jamais marché et il ne démordra pas. Elle le remarque, lance ça comme une pique, mais il n’en dit rien, au moins elle a compris, c’est déjà ça, même si elle ne donne pas l’impression d’avoir compris la leçon pour autant. Faut dire que la Finnoise n’a jamais été du genre à perdre l’éclair de génie qui lui est venu en tête, encore moins quand l’alcool lui monte à la tête.
Elle se relève, récupère la main du brun, toujours blessée par les coups qu’il a infligé une semaine auparavant, ça fait plus mal, mais les marques sont toujours apparentes et bien entendu elle l’a remarqué. Ce n’est pas si étonnant de sa part, vu qu’elle est incapable de garder ses yeux à leur place, cherche toujours à grappiller la moindre information là où elle peut en trouver. Il n’est pas avare, les signes ne trompent pas, les cernes creusés sous ses yeux, les marques rosées sur ses mains, les muscles toujours tendus ; il est à cran et la boisson aide seulement à le tenir assez pour qu’il ne détruise pas la première chaise venue sur le premier type venu. Elle pose la bonne question et ça le gonfle, parce qu’il n’a pas plus envie d’en parler, mais s’il répond assez, elle est prête à s’ouvrir. Il se dit que si elle parle d’elle, elle ne tentera plus de lui tirer les vers du nez, c’est toujours ça de pris.

— Juste un type sans respect, qui a cru que me percuter le ferait gagner.

Il ne parle pas de la rose, parce qu’elle pourrait utiliser ça contre lui, serait sans aucun doute ravie de pouvoir lui demander des détails, ce qu’elle faisait dans sa voiture ce soir-là, pour quelle foutue raison il a pris la décision de briser le crâne du rouquin quelques jours à peine après avoir appris à connaître la jeune femme. Non, ça il le garde pour lui, parce que lui-même n’est pas certain de comprendre ce qu’il lui est passé par la tête à cet instant où le sang n’a fait qu’un tour, que la machine infernale s’est dirigée avec un seul objectif en tête : détruire.
Puis il y a cette phrase faite de double sens qu’elle lance sans vergogne, tente d’être subtile, ça l’amuserait presque s’il n’avait pas les nerfs encore en pelote. Il sourit doucement, mais ne saura pas lui donner entière satisfaction jusqu’ici, sa voiture pourrait facilement encaisser une course contre elle, mais il n’a pas spécialement envie de jouer du volant alors que la portière passager est déjà enfoncée, surtout qu’elle est assommée comme jamais par l’alcool. On dit que les puces font leur travail pour éviter de nous rendre inconscients, le Britannique vous répondra que tout dépend de la dose que vous ingurgitez.

— On verra ça plus tard, quand elle aura fini d’être retapée. En attendant, oui. Je te baiserais bien facilement.

Le sourire se fend un peu plus à sa connerie, parce que même s’il n’imaginait pas que cette soirée se déroulerait dans cette atmosphère-là, il vient peut-être enfin de trouver une utilité à la langue bien pendue de sa comparse.

— Ou alors t’as perdu tes moyens après avoir dit ce qui te passait par le crâne à ce moment-là ? Je m’attendais à mieux de ta part honnêtement, poupée.

C’est la passion du brun, jouer avec le feu, plonger le bras entier dedans et voir le résultat après, sans vraiment penser aux conséquences. Dans le pire des cas, elle tentera de le broyer en deux et même s’il ne doute pas qu’elle en est capable en temps normal, elle n’est pas en état de lui tenir tête ce soir. Enfin, il imagine facilement quelques manières de se débarrasser d’elle si la blague tendait à un peu trop l’énerver.

La Finnoise ne se décide pas à lâcher l’affaire, quand bien même le jeune homme rembarre chacune de ses tentatives d’en apprendre plus, qu’il ne lui laisse l’occasion de garder qu’une infime partie des informations. Évidemment, elle le remarque, geint encore qu’on ne lui donne pas sur un plateau d’argent toutes les explications, il n’y a rien à expliquer de toute façon, ça ne la regarde pas ; lui-même ne sait pas comment tourner les éléments dans son esprit de toute manière. Alors forcément, ça l’irrite plus qu’il ne devrait, même quand elle donne l’impression de rejoindre son jeu, parce que ça ne la détourne pas vraiment de ses ambitions et l’alcool n’aide pas à ce qu’il garde son calme. Les nerfs étonnement toujours tendus, comme celui d’un soldat qui n’est jamais sorti d’un affrontement, toujours à l'affût de l’assaut suivant, quand bien même il n’arrivera jamais.

— Pas besoin de parler, tu le fais bien assez pour deux, Quietus.

L’accent du Britannique ressort un peu plus fort sur le nom de la jeune femme, comme pour lui rappeler ce que sous-entend ce dernier. Il se tourne un peu plus vers elle, alors qu’elle semble chercher dans son regard une réponse à des questions qu’elle évoque depuis bien trop longtemps, auxquelles il ne souhaite pas donner suite. Ça le ferait presque rire de l'entendre dire qu'il n'est pas habitué à être bavard, lui à qui on a tant de fois rabâché qu'il est incapable de garder le silence, mais ce soir le cœur n'y est pas et elle n'arrivera pas à le faire décoincer ses lèvres avec ce genre de tactique. Bien entendu, il envisage, une seconde à peine, de respecter sa demande, de l'emmener dans un recoin du bar pour attiser les courbes et la faire taire pour le reste de la soirée, mais ce n'est pas son genre de régler les problèmes avec une partie de jambes en l'air, encore moins avec des gens qu'il risque de recroiser ; c'est ce qu'il se disait avant que la rose n'arrive dans sa vie et chamboule tout.
Le jeu commence à devenir long, laisser les railleries de sa camarade et son manque de tact flotter dans l'air devenu trop peu agréable pour qu'il en reste là. La main encore tachée de rouge fait voler en arrière celle qui en a le moins quand elle le provoque pour boire plus que de raison. Il termine son verre d'une traite et la regarde de travers, parce qu'il sait qu'elle a bien assez bu, que l'esprit déjà bien embrumé de la jeune femme ne tiendra pas plus longtemps.

— Ça fait déjà une bonne demi-heure que t'as eu ton compte. T'auras beau creuser, t'obtiendras rien de plus de ma part, lâche ton interrogatoire, peu importe les doses d'alcool que tu me feras boire, ça passera pas.

Comme toujours, l'honnêteté est de mise, incapable de jouer le rôle d'un autre, de quelqu'un qui sera assez patient avec elle pour la laisser titiller ses nerfs toute la soirée.

— Ce genre de petit manège, ça prend pas avec moi. Tu dois avoir oublié le nombre de fois où je suis passé chez les flics sans jamais lâcher un mot, prend exemple sur eux, capitule.

Répondre à des questions quand on n'attend rien de lui, ça ne le dérange pas, mais il voit très bien qu'elle a quelque chose derrière la tête et ça le gonfle d'être pris pour un idiot qui va cracher le morceau. Elle aurait au moins pu avoir le mérite d'essayer d'être subtile, mais même pas, c'en est presque risible.

— Je sais pas ce que tu cherches, mais tu t'es trompée de personne.

Il pourrait presque être contrarié par le fait qu'elle donne l'impression de vouloir lui mettre son poing dans la bouche, mais il est assez adroit pour éviter le premier coup, assez malin pour savoir qu'elle n'a pas le dessus sur lui dans son état, qu'importe le fait que le niveau soit habituellement si équilibré. Alors oui, peut-être que l'alcool aurait pu aider à le détendre, lui qui est arrivé encore aussi vif que lorsqu'il a quitté le rassemblement la fois dernière, mais rien n'y fait. Les moyens de la faire taire sont nombreux, à voir si elle se décidera à garder les lippes fermées de gré ou de force.